Partager un piso à Barcelone, ce n’est pas seulement une affaire de loyers hors de prix : c’est aussi une épreuve qui vous apprendra l’art de la diplomatie internationale.
Entre votre coloc espagnol qui transforme la cuisine en friteuse à 23h30, la Hollandaise qui va se coucher à 21:00, l’Irlandais qui rentre ivre mort quatre fois par semaine, le Français qui empuantit le frigo avec son claquos, et la végane qui fulmine devant la butifarra, chaque nouvelle journée apporte son lot de tensions dignes des sommets des Nations Unies. Car chaque coloc est une mini société en elle-même, avec ses règles, ses injustices, ses drames et parfois, heureusement, ses fou-rires.
Guide de survie pour ne pas finir par rêver d’un placard à balais à Nou Barris et, pour, déménager le moins possible.
Le ménage : pomme de la discorde de la coloc
Si l’argent peut briser des familles, la saleté détruit les colocs. Rien n’alimente plus de rancunes que la vaisselle entassée dans l’évier ou les poils collés sur le lavabo. “On n’est pas à l’hôtel” est la petite phrase qui revient dans toutes les disputes, tandis que des post-its passif-agressifs fleurissent sur le frigo, sans que jamais, rien ne change vraiment.
Le saviez-vous ? Le syndrome du PQ fugueur touche 99,9 % des colocs barcelonaises. Tout le monde est persuadé d’en avoir acheté, mais il n’y en a jamais… Jusqu’au jour où la dernière feuille de sopalin disparaît, déclenchant une explosion sur le groupe WhatsApp.
La solution : Instaurer une caisse commune pour produits ménagers et courses de base. Et surtout, un calendrier de ménage collé au frigo. Oui, ça fait ambiance colonie de vacances, mais mieux vaut cocher “balai passé” une fois par semaine que de s’écharper pour un innocent rouleau de papier toilette.
Car en coloc, le ménage n’est jamais neutre : si ranger ses affaires est une marque de respect. Laisser traîner ses chaussettes est, en revanche, une véritable déclaration de guerre.
Quand la salle de bain devient la Baie des Cochons
À Barcelone, on apprend vite que le luxe n’est pas une terrasse ensoleillée, mais de disposer de plusieurs salles de bain. La cohabitation transforme cette pièce en un Tetris de serviettes, sèche-cheveux et autres produits de beauté. Tandis que la cuvette cristallise – depuis la nuit des temps – les crispations entre les genres.
Chaque matin, c’est la course contre la montre, si quelqu’un décide de se laver les cheveux à 8h, c’est tout le fragile écosystème de votre coloc qui s’effondre comme un château de cartes.
Moralité : rien ne sert de courir, il faut partir à point.
Traduction : se lever un peu plus tôt, attribuer des créneaux horaires, et surtout déplacer dans sa chambre tout ce qui n’exige pas un lavabo (maquillage, scroll Instagram, méditation) évitera les engueulades de bon matin.
La cuisine, théâtre des guerres mondiales
Ex aequo avec la salle de bain, considérez la cuisine comme un terrain miné sur lequel, il est recommandé d’avancer avec la plus grande prudence.
Il suffit qu’un coloc décide de préparer une variante de soupe à l’oignon mais uniquement à base d’ail, justement le soir où l’un d’entre vous avait prévu une soirée romantique, pour déclencher une crise. Qu’un autre récupère une caisse de légumes en fin de vie et la balance négligemment dans un coin jusqu’à attirer une blatte dodue… et vous obtiendrez une quasi-éviction.
Sans parler de cette fille adepte du batch cooking dont les tupperwares méticuleusement étiquetés occupent tout le frigo. Ou du moment où, en ouvrant le congélateur pour récupérer une innocente bouteille d’eau, vous tombez nez à nez avec un merlan pas frit, trophée du coloc qui s’est mis à la pêche au harpon. Ajoutez une végane qui milite pour la poêle séparée, et vous obtiendrez une ambiance de guerre froide à couteaux tirés.
Dilemme : Partager ou pas les ustensiles et la nourriture ? Tout partager, c’est accepter de retrouver la moitié de son manchego disparu après un retour de soirée. Rien partager, c’est triste.
La solution ? La sagesse catalane recommande une voie médiane : mutualiser riz, pâtes, oignons, huile d’olive, et garder ses trésors (fromages, charcuteries, chocolats) sous haute surveillance.
(Sur)vivre-ensemble, la coloc ou l’art de la diplomatie
À Barcelone, les colocs deviennent vite un concentré de nationalités et de caractères. Cette diversité peut être une richesse, mais seulement si chacun sait se parler et s’écouter. Au fond, la coloc est une école de la vie. On y apprend la diplomatie, la gestion de crises, la cuisine à quatre mains et l’art de survivre au bruit constant. Vivre avec d’autres personnes est le meilleur moyen d’apprendre à respecter ses pairs, leurs espaces, de poser ses limites et d’apprendre à se connaître. La coloc est donc sûrement la façon privilégiée d’apprendre à supporter les autres.
D’ailleurs selon une enquête commandée par Badi, pour l’immense majorité (84%) des personnes qui l’ont vécue, la colocation est considérée comme une bonne expérience. L’enquête nuance : plus les années passent, plus les souvenirs de la coloc ont tendance à s’enjoliver. Les plus jeunes, qui ont eu l’expérience a priori la plus récente, pointent davantage ses inconvénients comme les conflits liés à la vie quotidienne. Si la routine est un tue-l’amour dans le couple, elle est aussi un poison pour le collectif. La coloc, on l’aime avec du recul… Beaucoup de recul.