Entre plages méditerranéennes et montagnes préservées, la Catalogne s’affirme comme un havre de ressourcement. Ici, retraites spirituelles et expériences de bien-être attirent une clientèle internationale, avec une forte présence de Français en quête de sens.
Parmi ces escapades bien-être, les retraites d’ayahuasca s’imposent comme une tendance montante. Originaire d’Amérique du Sud, l’ayahuasca est une boisson traditionnelle à base de lianes Banisteriopsis, réputée pour ses effets hallucinogènes. Utilisée depuis des siècles par les peuples autochtones dans des rituels dirigés par un chaman, elle attire aujourd’hui une clientèle occidentale en quête de sens et de bien-être.
En France, l’ayahuasca est considérée comme une drogue pour sa concentration en diméthyltryptamine, une molécule organique psychotrope. La législation est plus souple en Espagne.. et c’est tout un business qui se construit autour de la tendance. Plus d’une vingtaine de centres proposent ces expériences immersives, dont une dizaine en Catalogne. Selon des plateformes spécialisées comme Retreat Guru, plus de 187 retraites sont actuellement recensées dans le pays.
Les tarifs varient largement : de 500 à 7000 euros selon la durée du séjour et le standing du centre, certains proposant des prestations haut de gamme dans des villas ou mas catalans rénovés. Ces séjours attirent autant des curieux en quête de spiritualité que des personnes confrontées à certaines pathologies ou addictions, souhaitant intégrer cette pratique dans leur processus de guérison. Mais lorsque la quête spirituelle se mêle à un marché en plein essor, quelles sont les limites légales de cette pratique ?
L’ayahuasca : rituel, chamanisme et bien-être moderne
Sergio Sanz Navarro, psychologue et directeur du centre FloreSiendo, organise des retraites pour des participants venus du monde entier, dont près de la moitié sont français. Ici, il n’y a pas de chamans, mais des « facilitateurs » qui accompagnent les participants tout au long des retraites. « Le but est de permettre à chacun de cultiver un rapport bienveillant et aimant envers soi-même», explique le maître des lieux. Il insiste : leurs retraites ne prétendent pas reproduire le rôle d’un chaman et ne cherchent pas à créer un sentiment d’appartenance à une communauté ou à une secte. « La plupart des participants viennent une ou plusieurs fois selon leur processus personnel, mais ne s’identifient pas à une communauté fermée. »
Le centre de luxe Avalon en Catalogne
Concernant l’aspect économique, Sanz souligne que « l’existence d’un cadre fiscal en Espagne permet à de nombreux centres d’opérer légalement ». Sur le débat autour du business du bien-être, il assume : « L’argent peut être mis au service de l’amour et de la spiritualité s’il n’est pas utilisé à des fins égoïstes. » Et d’ajouter : « Nos prix, jugés raisonnables par rapport à d’autres centres, couvrent le loyer, les salaires, les impôts et les plantes utilisées, assurant une certaine transparence et un alignement avec le secteur. »
L’expérience d’un participant français : entre introspection et transformation
Mathieu Lagarrigue, comédien de 57 ans, est devenu un habituel de ces retraites espagnoles : « J’ai toujours voulu vivre une expérience psychédélique encadrée, mais je n’avais pas eu l’occasion de le faire en Amérique latine. Un jour, je suis tombé sur un teaser sur Facebook présentant un centre de retraite en Catalogne, et je me suis laissé tenter. »
Malgré une certaine appréhension liée à la caution de 200 euros, tout s’est finalement très bien passé. « L’endroit est magnifique, à flanc de colline, avec une piscine, et j’ai été très bien accueilli. » Pour quatre jours et trois nuits, avec logement en dortoir et nourriture végétarienne inclus, il a payé 570 euros.
Le centre FloreSiendo de San Pol De Mar
Ce qu’il pensait être une simple curiosité s’est transformé en quête spirituelle : « Je me suis rendu compte que j’avais beaucoup de choses à lâcher, car on n’est pas toujours conscient de tout ce que l’on porte. » À son retour en France, les proches ont remarqué la transformation. « Ma vie n’est plus la même, j’ai l’impression de m’être dépouillé de plein de choses dont je n’avais pas conscience. Ma fille m’a dit : j’ai retrouvé mon papa d’avant, plus léger, plus insouciant ».
Un cadre encore flou en Espagne
En Espagne, l’ayahuasca évolue dans une véritable zone grise juridique. Contrairement à la France ou à l’Italie, où cette boisson amazonienne est strictement interdite, la législation espagnole ne prévoit pas de disposition spécifique. « La convention de 1971 interdit le DMT synthétique, pas le DMT naturel contenu dans l’ayahuasca », explique Oscar, avocat spécialisé. Cette distinction a façonné une tradition juridique particulière : « Depuis vingt ans, il n’y a pas de condamnation. »
Pour autant, la substance n’est pas totalement tolérée. « En Espagne, il y a des autorités qui considèrent la substance comme dangereuse et il y a déjà eu des arrestations », nous précise Oscar Palet Sanandreu, avocat spécialisé en Droit Pénal International et Indigène. L’Agence espagnole du Médicament et des Produits Sanitaires (AMPS), qui délivre des licences pour la culture du cannabis, ne reconnaît pas l’ayahuasca comme une drogue, ce qui empêche toute réglementation claire. Résultat : les centres organisant des cérémonies fonctionnent souvent comme des associations ou structures autonomes, à l’image des clubs de cannabis. « En cas d’intervention ou d’action pénale, les participants ne seront pas condamnés ; ce sera celui qui distribue qui sera condamné, pas le consommateur. »
Les organisateurs de retraites spirituelles, eux, évoluent sous une menace latente. « Ils peuvent craindre une opération policière et un procès juridique qui finira certainement sur un non-lieu », commente l’avocat, qui souligne la nécessité de régulariser ces pratiques : assurances, déclarations de santé, encadrement sérieux. « Il faut faire attention à qui prend la substance, car il y a eu des cas de mélange de drogue entre l’ayahuasca et la cocaïne, par exemple, avec des réactions dangereuses ». Le manque de régulation et les risques entourant la pratique n’effraient toutefois pas les Français qui sont de plus en plus nombreux à traverser la frontière pour suivre ces retraites. En Catalogne, ils représentent environ la moitié des visiteurs.