Barcelone après minuit : la face cachée de la ville qui ne dort jamais

Barcelone ne dort jamais. Réputée dans le monde entier pour ses nuits de fête et ses excès, la cité condale vit au rythme des noctambules, semaine comme week-end. Mais derrière les lumières et la musique, une autre réalité s’active : celle des travailleurs de l’ombre qui veillent chaque nuit pour que la ville reste debout.

Ils se couchent quand d’autres se lèvent, croisent leurs conjoints et leurs enfants au passage, et s’accommodent tant bien que mal d’un rythme qu’ils n’ont pas toujours choisi. Éboueurs, ambulanciers, videurs ou chauffeurs de taxi, tous vivent à des rythmes décalés qui impactent leur vie sociale, familiale mais aussi leur santé. Une véritable armée de métiers de l’ombre, en particulier en Espagne où le nombre de travailleurs de nuit double celui de la France, vie nocturne oblige. Alors à Barcelone, capitale espagnole de la fête, c’est une ville dans la ville qui chaque soir s’active.

Il est minuit dans le quartier de Poblenou et Jaime, la quarantaine, prend son poste. Il est responsable sécurité de la discothèque Razzmatazz. « Il faut changer les rythmes de vie, tu fonctionnes à l’envers des autres, au niveau de la santé c’est plus complexe, tu as souvent des troubles du sommeil, mais au final tu t’habitues et tu n’as pas le choix. » Divorcé, il y trouve malgré tout un certain équilibre : « Durant le Covid, j’ai pu m’occuper de mes enfants en journée. »

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Mais si elle peut être pratique sur certains aspects, cette inversion du quotidien rejaillit souvent sur la vie de famille et de couple. « Je ne vois pas ma femme, au moins on ne se dispute pas ! Mais c’est un peu difficile… on verra dans le futur si on peut avoir une vie normale », glisse Javier, chauffeur de taxi, posté non loin de la boite de nuit.

A 2h, c’est le début de la tournée des encombrants pour Luís, agent d’entretien pour la mairie. Lui aussi reconnait un décalage social qui n’est pas sans conséquences : « Les gens qu’on avait l’habitude de voir vivent la journée, donc c’est une autre vie, on ne côtoie plus les mêmes gens la nuit. »

La nuit, terrain d’imprévus et de dangers

Alcool, drogue, violence, au-delà de leur vie sociale, les travailleurs de nuit font aussi face à des risques accrus. Des passants en état d’ébriété perturbent souvent leur mission, raconte Luís : « J’ai déjà eu des gens qui s’accrochent au rétroviseur ou à l’arrière du camion. » La nuit devient régulièrement le théâtre d’excès, où les travailleurs eux-mêmes peuvent devenir des victimes.

Et ce n’est pas ce jeune ambulancier d’une vingtaine d’années, lui aussi croisé près du Razzmatazz, qui dira le contraire. « J’ai déjà assisté à une grave bagarre avec des coups de poignard. En général, les gens ne sont pas agressifs envers nous, mais c’est déjà arrivé que certains deviennent nerveux et on doit appeler la police. » Le chef de sécurité de la boite de nuit confirme la nécessité d’une collaboration étroite avec les forces de l’ordre : « Il faut collaborer entre nous car on se retrouve dans des situations qui touchent au privé et qu’il faut résoudre avec eux. »

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Outre la violence, certains sont exposés aux abus ou aux arnaques. « Bien sûr, il y a ceux qui sont ivres et qui vomissent dans ma voiture. Mais parfois j’accompagne des gens et, en fin de course, ils disent qu’ils n’ont pas d’argent. Il faut faire attention », confie notre chauffeur de taxi. Pour limiter les risques, il évite certains quartiers réputés dangereux : « à partir d’une certaine heure, il y a des lieux où je ne vais pas, comme la Mina, le Raval ou Zona Franca. On sait ce qu’il s’y passe et on essaie d’éviter. »

Des emplois essentiels mais peu reconnus

Face aux risques et au décalage, tous regrettent toutefois un manque de reconnaissance, de la société en général comme des employeurs. Luís estime que les conditions devraient être réévaluées : « Il faudrait davantage nous compenser au niveau économique et surtout pour la sécurité des femmes qui travaillent seules. On part à la retraite au même moment que les gens qui travaillent de jour, alors que notre rythme est plus usant. »

Javier, chauffeur de taxi à son compte, est un peu plus résigné. « Il faudrait qu’on ait un bonus, mais ça ne compense pas les horaires de nuit et le manque de sommeil. Au final, c’est toi qui choisis de travailler la nuit. »

Tous reconnaissent que la nuit exige un sacrifice supplémentaire. Pourtant, ils continuent, par habitude, par choix ou par nécessité. Invisibles pour beaucoup, ils incarnent une face cachée de Barcelone : celle qui maintient la ville debout pendant que d’autres s’abandonnent aux excès. Sans eux, elle ne serait pas cette métropole vibrante où chaque matin, la fête laisse place à une ville propre, sécurisée… et prête à recommencer.

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