À Barcelone, les travaux de rénovation et d’aménagement des rues transforment les quartiers… mais parfois au détriment des commerçants. Baisse de clientèle, pertes financières et manque d’information: les petites entreprises sont particulièrement touchées.
Dans le quartier de Poblesec, Carlos, propriétaire du restaurant mexicain Redrum, n’en peut plus. « Les travaux devant chez nous durent depuis plus de trois mois. Les rues sont coupées, l’accès est compliqué et la fréquentation a fortement diminué. » Il estime sa baisse de ventes à environ 30 %. « Le bruit, la poussière et l’incertitude quant à la fin du chantier aggravent la situation », précise-t-il. En août, il a même réduit ses jours d’ouverture, préférant limiter son activité plutôt que subir davantage de pertes. « Je ne pourrais tenir que deux ou trois mois supplémentaires dans ces conditions », avertit-il.
Car les travaux urbains dépassent largement la simple rénovation des rues : ils perturbent directement l’activité économique et le quotidien des commerçants. Plus de 80 chantiers quadrillent actuellement la ville, entraînant fermetures temporaires de rues, accès difficiles et visibilité réduite. Pour les petites entreprises, chaque semaine de chantier peut représenter des pertes considérables. Shafiqul, qui a ouvert sa fruiterie à Sant Antoni sur la calle Comte de Borell, il y a seulement un mois et demi, n’a pas eu beaucoup de répit. « Les travaux ont commencé quelques jours après l’ouverture, réduisant immédiatement le flux de clients », raconte-t-il. « L’accès étant impossible pour livrer les fruits, je n’ai pas pu renouveler mes stocks à temps. Une partie de ma marchandise, rapidement périssable, a dû être jetée, ce qui m’a entraîné des pertes estimées entre 1 500 et 2 000 € en seulement six semaines. »
D’autres commerces voisins sont également touchés, certains ayant même dû fermer temporairement. Shafiqul souligne : « Le magasin de chaussures à côté a été contraint de fermer temporairement. Il ne pouvait pas supporter la chute de clientèle et les contraintes logistiques causées par le chantier ». Cette situation illustre l’effet domino que peuvent avoir ces perturbations sur tout un quartier commercial.
Manque d’information et d’anticipation
Prosper Puig, président de l’association Barcelona Comerç, souligne le rôle clé de la communication et de la coordination entre la mairie, les constructeurs et les boutiques pour permettre aux commerçants d’anticiper : « Lorsqu’elles existent, l’impact des travaux est moindre. Mais en l’absence d’information, les pertes peuvent rapidement devenir graves. » Il recommande notamment de signaler clairement les commerces, de maintenir l’accès et d’aménager des passages provisoires pour préserver la clientèle. « Même de petites modifications dans le parcours piéton ou les accès aux magasins peuvent faire une grande différence », ajoute-t-il.
Les travaux urbains sont essentiels pour moderniser Barcelone, mais ils peuvent avoir un coût réel pour les commerçants. « Le manque de communication, l’accès restreint et l’absence d’aides financières rendent l’activité économique fragile dans les zones concernées », souligne Prosper Puig. « On ne peut pas dire aux commerçants que les travaux vont durer un an si, au final, ils durent deux ans, et que personne n’est averti. Cela impacte non seulement la boutique concernée, mais aussi les voisins qui en ont marre de ne pas pouvoir circuler correctement et qui changent leurs habitudes d’achats. »
Dans certains cas, le manque de visibilité et d’accès entraîne des répercussions en chaîne. Les conséquences de l’absence de coordination sont concrètes : « Les commerçants voient leur chiffre d’affaires chuter, doivent jeter des marchandises périssables ou réduire leur personnel temporairement, et certains sont même contraints de fermer leurs boutiques », explique Prosper Puig.
Absence d’aides financières
Or, les aides financières accordées aux commerçants touchés par les travaux urbains à Barcelone sont quasi inexistantes. Selon le président de l’association Barcelona Comerç, « à l’exception du financement de certaines décorations de Noël pour les travaux de longue durée, aucun soutien n’est prévu pour les commerçants ». Il précise que « pour la majorité des rénovations ou aménagements de rues, aucune compensation n’est mise en place. »
Cette absence de soutien a des conséquences directes sur la survie des petites entreprises. Pour ces structures souvent fragiles, chaque chantier représente un enjeu critique. « Même une baisse de 15 % du chiffre d’affaires peut décider de la survie ou non d’un commerce », rappelle Prosper Puig. Sans aide financière, les commerçants doivent absorber seuls les coûts liés aux pertes de clientèle, à la marchandise invendue ou périssable, et aux aménagements temporaires nécessaires pour maintenir un accès minimal.
Les petits commerces, déjà soumis à des marges étroites, voient ainsi leur stabilité fortement compromise. La planification préalable, la communication régulière avec les autorités et la mise en place de mesures de soutien adaptées apparaissent donc indispensables pour limiter l’impact économique des travaux et préserver l’activité commerciale de proximité. Selon l’Union des Associations de Travailleurs Indépendants et Entrepreneurs (Uatae), ce sont en moyenne 26 commerces qui ferment chaque jour en Espagne.