Barcelone attire toujours plus de jeunes Français, même si les salaires y restent notoirement bas. Un choix de vie assumé par certains, mais qui interroge : jusqu’à quel âge peut-on accepter ce compromis ?
Photos Clémentine Laurent
La mer à deux pas, le soleil presque toute l’année, une vie sociale débordante… Barcelone séduit… Mais ses salaires, beaucoup moins. Ici, on est bien loin de la réalité financière d’un cadre parisien. Les chiffres grattent et confirment ce que tout le monde constate déjà dans la Cité comtale : à Barcelone, il ne faut pas faire la fine bouche.
Le salaire moyen brut y atteignait 35 402 euros en 2023, selon la mairie. Mais pour les jeunes de 25 à 29 ans, il descend à 25 888 euros (1640 euros nets mensuels environ). Mais ces chiffres donnent une vision tronquée de la réalité : le salaire national le plus fréquent n’est que de 15 600 euros annuels (1100 euros nets mensuels).
À côté, la France fait pratiquement figure d’eldorado : 39 800 euros de salaire moyen brut, 45 000 à Marseille, plus de 54 000 à Paris. De quoi mesurer l’écart abyssal… surtout quand on sait que Barcelone n’est pas si bon marché qu’on l’imagine.
« Le choc des salaires reste réel »
Dorina, bientôt 26 ans, recruteuse dans une société de conseil, a déjà beaucoup voyagé. Pays-Bas, Suède, Bruxelles… Elle croyait être préparée. Et pourtant : « Je savais que les salaires seraient plus bas qu’en Belgique ou en France, mais le choc reste réel. Je pensais que la ville serait moins chère. Or, Barcelone n’est pas si bon marché que ça : au final, le niveau de vie est élevé, et les salaires ne suivent pas. »
Elle sait très bien qu’elle gagnerait plus si elle était restée au pays : « Si j’étais restée à Lyon, je gagnerais au moins 500 euros de plus par mois. Mais je n’aurais pas la même vie. Ici, je finis ma journée et en 20 minutes, je suis à la plage. Je n’ai pas de métro bondé ni de grisaille. Barcelone, c’est presque une capitale : la mer, la montagne, les musées, les activités tout le temps. Le climat est incroyable, surtout en hiver. Les gens sont chaleureux, la ville est internationale. Tout ça compense les bas salaires, du moins à ce moment de ma vie. »
Elle met pourtant un bémol : « Pour l’instant ça me va, mais je sais qu’un jour, si je veux avoir une famille ou acheter un appartement, ce ne sera pas possible avec ces salaires. Tant que je suis jeune, ça passe. Après, je verrai. » Elle se fixe donc une limite : « Comme c’est mon premier emploi, je trouve ça correct pour commencer. Mais au bout de deux ou trois ans, si les salaires n’évoluent pas, ça deviendra plus compliqué. » Elle n’exclut donc pas de retourner en France si les choses ne s’améliorent pas… Même si elle admet que quitter Barcelone sera très difficile pour elle.
Cindy, elle, vient de Marseille. Et forcément, son regard est différent. « J’ai des amis belges ou parisiens qui trouvent le cadre de vie incroyable ici. Mais moi, venant de Marseille, j’avais déjà la mer, le soleil, les gens chaleureux. Certes, il y a un peu moins de travail à Marseille, mais c’est mieux payé, et les loyers sont moins chers. Même sortir, boire un verre, ça coûte pareil. »
Ce qui coince aussi pour la jeune femme de 32 ans, active dans le marketing digital, c’est l’impossibilité de se projeter seule. Un obstacle qui commence à peser, lorsque l’on passe la trentaine : « Je suis arrivée en début d’année à Barcelone. J’avais trouvé un travail, mais je suis payée 1350 euros par mois, un salaire qui équivaut au prix du smic en France alors que j’ai un bac +5! Mon loyer est à 575 euros pour une collocation de cinq filles. Ici, on ne peut pas vivre seul, à moins d’être en coloc ou en couple. Et c’est quasiment impossible de mettre de l’argent de côté. À Marseille, j’y arrivais. À Barcelone, non. Ça dépend vraiment d’où l’on vient, de notre âge, de nos priorités. »
Sirine, 28 ans, est venue à Barcelone pour se former dans la danse, les opportunités dans ce milieu étant plus importantes ici qu’en France. Si elle avait au départ pour projet d’y faire sa vie, les contraintes légales imposées aux étrangers, les impôts, le coût de la vie et les bas salaires la freinent dans sa projection. « Ça fait un an que j’y vis. En un an, j’ai changé trois fois d’entreprise et trois fois d’appartement ! », se plaint-elle. « La ville en elle-même me fait rester pour la sécurité et l’ensoleillement. Et puis les gens sont très actifs et sportifs, c’est rare de rester enfermé. Le côté vraiment négatif, c’est l’instabilité dans laquelle la situation immobilière et le coût de la vie nous met. »
Elle aussi s’est mise une date limite : « Pas plus de deux ans ici, ensuite je retourne dans mon cher pays ». Elle admet toutefois qu’elle pourrait encore changer d’avis et rester plus longtemps si la situation immobilière et professionnelle s’améliorait, avec une vraie stabilité.
Un compromis qui a une date d’expiration
Adrien* vit à Barcelone depuis huit ans. Arrivé après un stage d’études en 2015, il décroche son premier poste en 2018, dans une PME, avec un salaire net de 1 170 euros. « Je payais 380 euros de colocation, j’arrivais à vivre, voyager un peu, mais je n’épargnais pas », raconte l’homme de 30 ans.
En 2019, son salaire monte à 1 250 euros. « À l’époque, ça permettait d’avoir une bonne qualité de vie sans épargner. Aujourd’hui, ça me paraît impossible pour vivre convenablement à Barcelone », note-t-il. Après un passage en CDD payé 1 650 euros, il change de voie. « Finalement, je suis resté. Mes amis étaient ici, la plage, le soleil. Désormais, j’ai évolué dans une autre boîte : en quatre ans, je suis passé de 1 900 à 2 500 euros nets, pour un loyer de 600 euros. »
Un mieux, certes, mais pas suffisant pour ses nouvelles aspirations. « Honnêtement, je suis dans ma trentaine, et j’aimerais fonder une famille. J’ai parfois l’impression que si j’avais deux enfants, je n’aurais pas les moyens de m’en occuper correctement », confie cet expatrié qui travaille désormais dans la logistique d’entrepôt pour une boîte américaine.
Dorina, Cindy, Sirine, Adrien : quatre parcours différents, une même équation. Accepter un salaire bas pour une vie lumineuse. La Barcelone à bas salaire se vit comme un choix de jeunesse, un entre-deux, une parenthèse enchantée avant le retour au sérieux. Mais chacun le sait : ce compromis ne peut pas être éternel.
*Nom d’emprunt