Derrière l’image prospère et touristique de la cité catalane, la précarité s’installe. À Barcelone, de plus en plus d’habitants peinent à payer leurs factures et doivent parfois faire le choix entre loyer et alimentation. Associations et ONG sonnent l’alarme.
L’Espagne figure toujours parmi les cinq pays européens les plus touchés par la précarité, selon l’étude d’Eurostat analysée par la Fondation des Caisses d’Épargne Funcas. Près de quatre millions de personnes ne peuvent pas assumer des dépenses essentielles. À Barcelone, cette réalité se traduit par un afflux croissant vers les services d’aide alimentaire, d’accompagnement scolaire ou de soutien au logement.
Les familles monoparentales en première ligne
Les familles monoparentales figurent parmi les plus touchées par la pauvreté. Selon Eurostat, 16,4 % de ces foyers vivent dans une situation de grande vulnérabilité économique et sociale, presque le double de la moyenne européenne.« Nous recevons de plus en plus de familles monoparentales qui travaillent mais n’arrivent plus à couvrir leurs besoins de base », explique Barbara Moreno, responsable de l’association de Famílies Monoparentals. Elle précise que, même si certains foyers sont composés de pères seuls avec leurs enfants, ce sont le plus souvent des femmes qui se retrouvent en difficulté.
Certaines situations individuelles illustrent ces chiffres. Michelle, 37 ans, Italienne, est divorcée et sans emploi ; elle est mère de deux enfants âgés de 2 et 10 ans. Elle sourit, tout en paraissant résignée : “Malgré le revenu minimum de 1 000 euros, j’arrive à peine à tenir jusqu’à la moitié du mois. Il m’arrive de devoir choisir entre payer les factures et acheter de quoi manger pour mes enfants… Je ne peux pas travailler à plein temps car je n’ai personne pour les faire garder.” » Cette situation montre à quel point concilier travail et responsabilités familiales reste un casse-tête pour de nombreuses familles à revenus modestes.
Les jeunes, qu’ils soient étudiants ou travailleurs précaires, ressentent eux aussi la difficulté à joindre les deux bouts. Camila, 30 ans, vient d’être licenciée et s’apprête à commencer un master en sciences humaines. Elle reprend tout juste ses études et, entre la recherche d’un nouveau travail et l’organisation de son emploi du temps, elle se sent dépassée. “Depuis la rentrée, je ne sais pas comment je vais m’organiser pour continuer à travailler et suivre mes cours”, confie-t-elle. »
La solidarité, soupape sociale essentielle
Pour les jeunes travailleurs comme les serveurs ou les livreurs, la précarité se traduit par des salaires bas, des horaires irréguliers et de fortes contraintes. En 2024, plus de 6 500 jeunes ont participé aux actions de la Croix-Rouge Espagne visant à la prévention, à la promotion de la santé et à l’insertion professionnelle, tandis que près de 2 800 ont été accompagnés dans des parcours d’accès au marché du travail. Malgré ces dispositifs, ils sont nombreux à continuer de jongler entre études et emplois précaires, témoignant des difficultés concrètes auxquelles cette génération est confrontée au quotidien.
Les retraités, eux, semblent moins touchés par cette vulnérabilité économique, avec un taux de 5,2 % chez les plus de 65 ans vivant seuls, contre 6,4 % en moyenne européenne. Pourtant, certains peinent à gérer leurs dépenses, malgré un logement stable. Raquel, 73 ans, retraitée et anciennement agent d’entretien, raconte son quotidien avec amertume. “Ma pension couvre mon loyer et mes factures, mais il me reste à peine 200 euros pour faire le mois. Parfois, ma fille doit me faire les courses et je dois renoncer à certains achats”, confie-t-elle.
Sur le terrain, la solidarité se traduit par l’action des paroisses et des cantines sociales. Isabel, Catalane d’une quarantaine d’années, est bénévole au réfectoire des sœurs de Calcutta dans le Raval. Enthousiaste et attentionnée, elle prépare les plats tout en expliquant que ce lieu sert environ 2 000 portions chaque semaine à des bénéficiaires de tous âges : familles, jeunes et retraités. Aucun justificatif n’est demandé, et la majorité des personnes accueillies disposent d’un logement mais vivent avec un budget très serré, illustrant la précarité « invisible » qui touche une partie importante de la population. Elle souligne que « dans la majorité des cas, ces personnes doivent faire un choix entre payer leur loyer ou se nourrir. »