Un chauffeur de taxi barcelonais qui pensait réaliser une simple course vers la France se retrouve poursuivi pour trafic de migrants. Il encourt jusqu’à 5 ans de prison et 30 000 euros d’amende.
C’était un mardi soir comme un autre pour Juanjo Sánchez. Le 12 août dernier vers 23h, il est hellé par un homme lui expliquant que quatre amis français doivent se rendre d’urgence à Narbonne pour voir leur mère malade. « C’est une situation classique, il n’y a plus de bus ni de train à cette heure, il y a une urgence, cela m’est déjà arrivé d’aller jusqu’en Galice ou jusqu’à Madrid dans des situations similaires ». Le chauffeur fait payer la course d’avance, tout ce qu’il y a aussi de plus normal pour de telles distances. Un total de 450 euros, conformément aux tarifs en vigueur, payé en partie par carte et l’autre en espèces.
Le voyage se passe sans encombre, les passagers parlent peu, échangeant seulement quelques mots en français avec Juanjo. « Je me suis dit que c’était normal, avec la situation de leur mère ». Peu après la frontière, il aperçoit un contrôle de police. « J’y suis allé direct, alors que j’aurais pu changer de trajectoire, mais pour moi, il n’y avait pas de problème ». Il présente ses papiers, mais ses voyageurs ne sont pas en règle. Ils sont immédiatement embarqués tous les cinq : les quatre passagers, d’origine africaine, pour entrée illégale sur le territoire et Juanjo pour les y avoir aidés.
« Je n’avais aucune idée qu’il s’agissait de sans-papiers, ça ne m’a même pas traversé l’esprit, j’ai été bête et je me suis bien fait avoir », s’agace encore le Barcelonais dans son modeste appartement du quartier populaire de la Prosperitat. « Je n’ai jamais commis aucun délit, je ne vais pas commencer à 52 ans et tu vois bien que je n’en ai pas le train de vie ! »
Il passe deux nuits en cellule, est relâché près de 40 heures après son arrestation, placé sous contrôle judiciaire. Il lui est interdit d’entrer sur le territoire français, sauf pour son procès fixé le 6 janvier au tribunal correctionnel de Perpignan. Ironiquement le jour de l’Epiphanie, le deuxième Noël espagnol, souligne-t-il.
La double peine
Mais Juanjo n’est pas au bout de ses surprises. Son véhicule est saisi. « Ils m’ont confisqué mon outil de travail ». À son retour, il parvient à se faire embaucher par une entreprise de taxis, mais ne gagne pas assez pour payer ses charges de travailleur indépendant et ses charges familiales. Il ne peut pas non plus acheter un nouveau véhicule car l’entité régulatrice des taxis barcelonais considère que le précédent détient toujours la licence d’activité et peut être utilisé à ces fins.
Mais Juanjo préfère pour l’instant vivre au jour le jour, conscient qu’il va accumuler des dettes au cours des prochains mois.. qui pourraient se terminer en emprisonnement. « Je m’attends à tout maintenant ». Pour l’aide au séjour irrégulier d’un étranger en France, il encourt jusqu’à 5 ans de prison et 30 000 euros d’amende. Une peine qui peut atteindre les 10 ans en cas de circonstances aggravantes.
Mais le quinqugénaire n’est pas un cas isolé. Depuis le printemps, au moins quatre chauffeurs de taxi barcelonais se sont retrouvés dans la même situation. L’un d’eux sera jugé le même jour que lui. « Nous ne savons pas quoi faire pour éviter cela », explique Maryan, secrétaire du syndicat des chauffeurs de taxi Elite. Car selon la législation européenne, c’est le réglement de la ville de départ du taxi qui s’applique. Or à Barcelone, non seulement un chauffeur n’est pas obligé de demander les papiers de ses passagers, mais il n’y est pas non plus autorisé en raison de la loi sur la protection des données personnelles.
« Nous avons contacté le consulat de France à Barcelone, l’ambassade de France à Madrid, le consulat d’Espagne à Perpignan, la préfecture des Pyrénées-Orientales, pour l’instant, nous n’avons obtenu aucune réponse, nous voulons respecter la loi, mais qu’on nous dise comment faire pour que cela n’arrive plus ». Selon Maryan, les autobus aussi sont contrôlés, mais les migrants illégaux y sont simplement arrêtés et le chauffeur de bus peut continuer son chemin. « C’est grave et surtout illégal de priver les personnes de leur outil de travail ».
En attendant, Juanjo et ses trois confrères préparent leur procès tant bien que mal, contraints de trouver un avocat pénaliste international exerçant à Perpignan et tentant de joindre les deux bouts. « Je n’ai rien fait d’autre dans ma vie que travailler », se désole le Barcelonais. Mais malgré la situation financière, les courtes nuits et les cauchemars, il ira au procès la tête haute, avant tout pour son honneur et pour sa réputation.