Depuis les inondations meurtrière qui ont ravagé Valence il y a tout juste un an, l’Espagne semble avoir changé de regard sur les effets du changement climatique. Entre inondations record et canicules interminables, les événements météorologiques extrêmes ne sont plus des anomalies. Ils redessinent peu à peu les contours de la sécurité nationale.
Fin octobre 2024, plus de 200 personnes perdent la vie dans la région de Valence, noyées sous des trombes d’eau jamais vues : 771,8 mm à Turís, un record historique. Trois mois plus tôt, à El Granado, dans la province de Huelva, le thermomètre affichait 46°C. Ces extrêmes, que l’on croyait autrefois rares et indépendants, s’enchaînent désormais avec une régularité implacable. Le dernier rapport annuel de sécurité nationale espagnol le confirme : le climat est désormais une menace stratégique.
« Il a fallu trente ans pour que ce soit enfin inscrit noir sur blanc dans une stratégie officielle », s’étonne Eva Saldaña, directrice de Greenpeace Espagne. Le pays prend conscience, dans la douleur, des impacts humains, matériels et économiques de ces bouleversements.
Barcelone, comme d’autres grandes villes espagnoles, a vécu en 2025 un mois de juin quasi invivable : des alertes sanitaires quotidiennes pour risque lié à la chaleur, une exception de plus en plus fréquente. La plateforme Climate Central estime que ces vagues de chaleur sont désormais cinq fois plus probables en raison du réchauffement climatique d’origine humaine.
« Une bombe à retardement »
Mais si les pics de température affolent les compteurs, l’eau devient aussi une ressource stratégique. D’après Martijn Vlaskamp, professeur au Barcelona Institute of International Studies (IBEI), 75,5 % du territoire espagnol est déjà touché par des processus de désertification. Les restrictions d’eau se sont multipliées dans les bassins du Júcar, du Guadiana ou encore en Catalogne.
À cela s’ajoute un autre front : la mer. « Le réchauffement de la Méditerranée est une bombe à retardement écologique », alerte Eva Saldaña. Les vagues de chaleur marines s’y succèdent, provoquant la mort massive d’espèces et renforçant les conditions favorables aux inondations.
Mais le climat bouscule aussi l’économie. L’agriculture peine à suivre le rythme des alternances entre sécheresse et pluies torrentielles. Le tourisme, pilier de la prospérité estivale espagnole, vacille : que vaut un été à 45°C à Séville ou à Gérone ? Même les modèles d’habitat sont remis en cause. Eva Saldaña dénonce les milliards encore investis en 2024 dans des projets immobiliers ou agricoles « toxiques », en contradiction totale avec les urgences climatiques.
Une accélération nécessaire
La transition énergétique, si elle s’accélère, n’est pas exempte de paradoxes. Passer des hydrocarbures aux renouvelables implique de nouvelles dépendances – cette fois à des matières premières critiques comme le lithium ou le cobalt. « Une vulnérabilité d’un autre type, mais bien réelle », prévient Martijn Vlaskamp.
À Barcelone comme ailleurs, le climat n’attend plus. La Catalogne, déjà en tension hydrique, est un laboratoire grandeur nature de cette nouvelle urgence. Mieux isoler les logements, reverdir les villes, anticiper les vagues de chaleur, prévenir les incendies avant qu’ils ne se déclenchent : la prévention est devenu un impératif.
L’Espagne a déjà réduit ses émissions de 7,6 % en 2023. Mais pour atteindre son objectif de -32 % d’ici 2030, un changement de rythme s’impose. Et de culture. Plus que de panneaux solaires ou d’éoliennes, c’est de villes repensées, d’habitats adaptés et d’un État stratège dont le pays a besoin.