vendredi 10 octobre 2025

Comment l’Espagne devient le refuge économique des Français

vivre en espagne

Alors que la note de la France dégringole, celle de l’Espagne s’envole. Stabilité, croissance et rigueur budgétaire font désormais du pays ibérique un refuge de choix pour les entreprises françaises en quête d’air et de visibilité.

Pendant que la France nage, une nouvelle fois, en pleine crise politique et budgétaire, jamais l’Espagne n’a été aussi attrayante aux yeux des entrepreneurs français. Oublié, le vilain canard de l’Union européenne au plus fort de la crise de la dette dans les années 2010, l’Espagne a su retourner la situation pour s’imposer comme l’économie phare de l’Europe. Que tout le continent regarde dorénavant avec envie.

Depuis 2021, l’Espagne surpasse ainsi les autres grandes économies européennes, portée par le tourisme, des prix de l’énergie relativement bas et une consommation dynamique des ménages. « Les foyers espagnols sont dans une situation financière solide, les taux d’intérêt sont désormais plus bas, et le niveau d’épargne reste relativement élevé, tant au regard de l’histoire que des besoins d’investissement » détaille le gouverneur de la Banque d’Espagne, José Luis Escrivá. En suivant cette analyse, les moteurs de croissance de l’économie espagnole se déplacent à présent vers la demande intérieure, portée par la consommation et l’investissement immobilier. Résultat : le PIB devrait croître de 2,6 % cette année, soit plus du double du rythme de la zone euro selon les prévisions de la Banque d’Espagne. Depuis le début de 2024, l’économie nationale croît à un rythme annuel moyen de 3 %, contre un peu plus de 1 % pour la zone euro.

« Ce qui attire les investisseurs en Espagne, c’est avant tout la stabilité »

Une performance qui tranche avec celle de la France, fragilisée par une dette record et un blocage politique persistant.
« Ce qui attire les investisseurs en Espagne, c’est avant tout la stabilité », explique l’économiste José Miró. « Nous avons le même Premier ministre depuis sept ans. Certes minoritaire, mais c’est la culture politique espagnole : on négocie, on fait des compromis. Et depuis sept ans, ça fonctionne. »

Cette constance politique, couplée à une discipline budgétaire rigoureuse, a renforcé la confiance des marchés. Les trois principales agences de notation ont relevé le mois dernier la note de crédit de l’Espagne — pendant que la France voyait la sienne dégradée. « La note, c’est un surplus de confiance pour les investisseurs », poursuit José Miró. « Cela permet d’emprunter à des taux d’intérêt plus favorables. Les investisseurs savent qu’en Espagne, les conditions resteront stables dans le temps. Et en économie, tout repose sur la confiance : si l’on croit que tout ira bien, tout finit par bien aller. » Ce regain de crédibilité s’explique aussi par une gestion plus rigoureuse des finances publiques. « L’Espagne respecte à nouveau les critères de Maastricht, avec un déficit proche des 3 %. Cela a même été inscrit dans la Constitution à l’époque du gouvernement Zapatero, rappelle José Miró, la France, elle, a trop profité d’une époque où l’argent n’était pas cher. Elle s’est endettée de plus en plus, et aujourd’hui, elle en paie le prix. »

Cette différence de trajectoire place désormais l’Espagne en position de force. Moody’s salue une économie “plus résiliente”, soutenue par un marché du travail en amélioration et un secteur bancaire solide, tandis que Standard & Poor’s note que les ménages et les entreprises espagnols se sont désendettés. « Les leçons apprises il y a plus de dix ans semblent avoir porté leurs fruits, puisque la croissance et le profil d’endettement actuels se sont nettement améliorés par rapport à ceux de la France », constate ainsi Frank Vranken, responsable de la stratégie d’investissement chez Edmond de Rothschild (Europe). D’autant plus que la France emprunte désormais à un taux supérieur par rapport aux pays dits « périphériques » de la zone euro, y compris l’Espagne. Frank Vranken souligne d’ailleurs que les notes de crédit de la France et de l’Espagne sont désormais équivalentes.

Une terre d’opportunités pour les Français

À cela s’ajoute une dynamique démographique sans équivalent : deux millions de personnes se sont installées en Espagne ces sept dernières années, faisant grimper la population active et soutenant la demande intérieure. « La réponse à la pénurie de main-d’œuvre en Europe, c’est la migration », rappelle le gouverneur de la Banque d’Espagne. Depuis 2022, l’Espagne accueille chaque année quelque 600.000 nouveaux arrivants, pour la plupart en âge de travailler. De quoi booster la population active, faire grimper l’emploi à des niveaux records et éviter les pénuries de main-d’œuvre qui paralysent le reste de l’Europe.

Et cette migration ne se limite plus à la seule main-d’œuvre : elle inclut depuis plusieurs années des talents, des freelances et des entrepreneurs venus du nord, dont de nombreux Français, qui n’hésitent pas à traverser la frontière pour vérifier que l’herbe y est bien plus verte. Attirés par la stabilité fiscale et politique du pays, ils contribuent, eux aussi, à cette croissance “importée”. « L’Espagne reste un environnement attractif pour investir ou s’implanter », confirme l’économiste Oriol Amat. « Il est vrai que la bureaucratie demeure un problème important, mais en France la situation est souvent encore plus complexe. La situation politique en Espagne peut parfois être instable… mais elle l’est davantage encore en France.» Les secteurs les plus porteurs aujourd’hui sont ceux liés à l’innovation, la durabilité, le recyclage et les nouveaux matériaux.« Si la crise politique française se prolonge, certaines entreprises françaises pourraient bien traverser les Pyrénées pour profiter de la stabilité espagnole » confirme José Miró.

D’autant que les signaux sont au vert : le pays reste compétitif, attire les investissements étrangers et affiche un climat social apaisé… mais aussi une douceur de vivre à la méditerranéenne. Il est notable que les Français installés en Espagne, et tout particulièrement à Barcelone, aiment la convivialité, la sécurité, la qualité de vie. Contrairement à ce que l’on peut entendre en France, le système de santé espagnol figure parmi les meilleurs au monde avec une couverture universelle totalement gratuite, sans avance financière à débourser.

Au niveau de l’éducation, tant l’école publique que privée fonctionne bien. «Tout cela participe à la stabilité économique » conclut Jose Miro. « De nombreuses entreprises internationales prennent aussi en compte d’autres facteurs décisifs dans le choix d’une implantation : la qualité de vie, la culture, la sécurité, le climat et la disponibilité des talents », renchérit Oriol Amat. « À cet égard, bien que certains pays européens se distinguent sur certains de ces points, la Catalogne — et l’Espagne dans son ensemble — offre un équilibre très compétitif entre tous ces éléments, associé à une économie stable et ouverte sur le monde. »

Bref, pendant que la France s’enfonce dans l’incertitude politique, l’Espagne avance, confiante, pragmatique et attractive… Un beau rayon de soleil dans la morosité européenne. « L’économie espagnole est aujourd’hui dans un cycle vertueux qui s’autoalimente », résume José Miró. « Pour l’instant, ça fonctionne. » Pourquoi s’en priver ?

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