L’Espagne séduit plus que jamais les Américains : sept sur dix d’entre eux envisageraient d’y passer des vacances d’ici 2028. Mais surtout, ils sont de plus en plus nombreux à s’y installer durablement.
Millennials et voyageurs fortunés sont en tête de cet engouement transatlantique, selon le rapport Portrait of American & Canadian International Travelers. Mais derrière cette vague touristique, se cache une autre réalité : celle des Américains qui ne viennent pas en vacances, mais pour fuir leur pays. Les demandes de visa espagnol ont ainsi bondi de 70 % en neuf ans aux États-Unis. Au total, ils sont près de 50 000 à avoir élu domicile en Espagne, dont quelques milliers à Barcelone.
Originaire d’Oakland, Kimia Haghighi, a débarqué dans la cité catalane à l’été 2021, en pleine sortie de pandémie. « Dès que je suis arrivée, j’ai su que je devais trouver un moyen de rester, peu importe les obstacles », raconte-t-elle.Mais la douceur du climat n’a pas effacé la réalité administrative : « Le plus difficile, ce sont les papiers. Les visas, les impôts, les rendez-vous à la préfecture… c’est un cauchemar bureaucratique. Je passe ma vie à chercher des citas, à comprendre les formulaires de l’Agencia Tributaria, à décoder d’obscurs sites gouvernementaux. »
Equilibre vie personnelle et professionnelle
Malgré ses déboires administratifs, à Barcelone, la trentenaire – consultante en solutions techniques, et musicienne – a enfin trouvé ce qu’elle appelle une vie normale :
« J’ai appris à déconnecter. Quand je finis ma journée, je suis vraiment off. Ici on parle beaucoup moins de travail, même au sein de notre cercle d’amis. Aux États-Unis, c’est flagrant à quel point, la position sociale semble dictée par le travail. Là-bas, on me demandait tout le temps ce que je faisais. Ici, on me demande qui je suis, et comment je vais. »
Cette quête d’un rythme de vie plus humain revient dans tous les témoignages. L’Espagne, avec son climat doux, sa sécurité et sa culture de la lenteur, apparaît comme un contre-modèle. « La valeur d’une personne ne dépend pas de son salaire, confirme Kimia. Les commerces ferment tôt, les week-ends sont sacrés. Le bien-être des travailleurs semble être une vraie priorité. »
Un exil silencieux
C’est un véritable exode silencieux qu’il s’opère désormais des Etats-Unis vers l’Europe, et en particulier l’Espagne. Interviewée par nos confrères d’Arte, Chris Kelly, mère célibataire californienne, explique avoir quitté San Diego pour Barcelone parce qu’elle ne supportait plus d’avoir trois gardes armés devant l’école de sa fille.
Vanessa Velásquez, Texane d’origine colombienne et homosexuelle, redoute quant à elle les politiques régressives des États républicains. Elle a voulu fuir la montée des tensions politiques, de peur aussi de perdre ses droits en tant que femme et personne LGBT. « Mes grands-parents ont quitté la Colombie pour offrir un avenir meilleur à leur famille, et aujourd’hui, c’est moi qui quitte les États-Unis pour les mêmes raisons ». Parlant déjà espagnol, elle n’a eu aucun mal à s’intégrer et peut enfin respirer.
Cepee Tabibian
Enfin, Cepee Tabibian, installée depuis dix ans à Malaga, est devenue une figure de cet exil. Fondatrice de la communauté She Hit Refresh, elle aide d’autres Américaines à s’installer en Europe. Depuis l’arrivée au pouvoir de Trump, ses master classes rassemblent plus de 600 participantes à chaque session.
Trajectoires inversées
Ironie du sort : les trajectoires se sont inversées. Le père de Kimia, comme les grands-parents de Vanessa, avaient quitté leur pays natal pour tenter leur chance aux États-Unis. Des décennies plus tard, leurs filles et petites-filles font le chemin inverse, vers une Europe devenue, à leurs yeux, un refuge.
« Pour ma famille qui vient du Moyen-Orient, et dont les membres sont dispersés des deux côtés de la barrière autocratique, la politique n’a jamais été un choix : on la vit au quotidien. En Espagne, j’ai enfin pu prendre du recul, et j’ai compris que la démocratie sociale pouvait fonctionner. Les impôts financent vraiment la santé, l’éducation, les transports. C’est pour ça que je suis heureuse de payer mes taxes en Catalogne, et pas là-bas », raconte Kimia.
Pour beaucoup de ces nouveaux arrivants, la péninsule ibérique n’est plus seulement une carte postale, mais un refuge politique, culturel et existentiel. Tandis que le rêve américain vacille, un autre récit prend forme sur les rives de la Méditerranée, qui semblent murmurer :
« Give me your tired, your poor,
Your huddled masses yearning to breathe free,
The wretched refuse of your teeming shore. »