mardi 28 octobre 2025

«Hola guapa» : drague, tendresse ou simple politesse espagnole ?

Cyane Morel

En Espagne, guapa, bonita ou cariño s’invitent dans le quotidien, du café au marché. Des mots tendres qui surprennent les francophones. Entre familiarité, décalage culturel et perception de genre, ces mots sont-ils vraiment appropriés ?

Photo : Cyane Morel

« Hola guapa ! … Gracias cariño ! Aquí tienes tu cambio bonita ». Dans un café de Barcelone, un serveur rend la monnaie à Juliette qui le remercie en souriant. En Espagne, de parfaits inconnus peuvent glisser dans la conversation des mots affectueux comme ma belle, ou encore chérie.

Juliette, installée dans la capitale catalane depuis dix ans, s’y est complètement habituée : « Autant, en français, j’aurais trouvé ça ringard ou un peu macho, autant en espagnol, je le prends comme une marque d’attention plutôt gentille. La différence, c’est que cette familiarité est très mixte : les femmes le disent aussi bien que les hommes, elle est souvent dénuée de drague ». Elle s’en amuse plus qu’elle s’en offusque : « J’ai compris qu’il ne fallait pas tout prendre au pied de la lettre quand ma boulangère m’a appelée Amor de mi vida ! »  dit-elle en riant.

Des mots doux qui divisent

Barcelonaise depuis un an et demi, Clara y voit la même intention amicale, même de la part des hommes : « Ils me disent plutôt cariño, et je le prends bien aussi. Ça veut dire que j’ai une tête sympathique, et je n’ai pas l’impression que c’est un compliment sur mon apparence ». Mais, nuance-t-elle, « seulement quand il n’y a aucun sous-entendu. Sinon, ça devient lourd ».

Après dix ans passés à Barcelone, Carole, en revanche, ne s’y habitue pas et partage son malaise : « Hola guapa? J’ai toujours trouvé cette expression très choquante, limite vulgaire». Pour elle, « c’est beaucoup trop familier, voire un peu machiste ».

D’où vient cette habitude de langage ? Pour Eva Martínez Díaz, linguiste à l’Université de Barcelone, «c e sont en général des marques de proximité réservées à des contextes intimes ou familiers. En dehors de ces sphères, elles deviennent inappropriées ». Par exemple, «d ans un contexte professionnel, c’est franchir une limite sociale implicite », précise-t-elle. Et pour un serveur ou une boulangère, « dire guapa ou cariño, c’est une façon d’instaurer une proximité, de mettre l’autre à l’aise, souvent dans un cadre de service ou d’échange ». Cette familiarité valorise la proximité plutôt que la distance, à travers de petites marques d’attention verbales typiquement ibériques.

Créer du lien par le language

Dans l’espagnol d’aujourd’hui, guapa ou guapo ne renvoient pas forcément à la beauté, mais plutôt à une manière de rendre l’interaction plus chaleureuse, de valoriser une relation, même éphémère – comme le confirme la linguiste Fien De Latte dans son étude. Par ailleurs, le mot guapo a connu une évolution insolite : il désignait autrefois un voyou, avant de devenir, au fil du temps, une appréciation physique, puis une marque de sympathie.

Lire aussi : Guapa, cariño, pourquoi les Espagnols sont si affectueux 

Côté genre, même si la connotation du hola guapa et d’autres mots affectueux n’a pas tout à fait disparu, ces formules restent largement employées par les femmes elles-mêmes. Toujours bien vivantes dans la langue orale, elles ont évolué avec les générations et les débats sur l’égalité des genres. « Elles ne sont pas dépassées, simplement parfois inadaptées », résume la linguiste Eva Martínez Díaz. « Tout dépend de qui parle, à qui, du ton et de l’intention ». Clara pour sa part, a adopté le cariño avec ses amis français. Carole elle, garde ses distances : « Je respecte, car j’ai choisi de vivre ici. Mais cela appartient à leur culture, ce n’est pas la mienne ».

« Finalement, les cielos, reinas et autres petits mots espagnols mettent, je trouve, un peu de douceur dans ce monde de brutes », nous confie Juliette. Des mots qui, au fil du temps, trouvent souvent leur place dans le cœur des Français, pourvu qu’ils restent bien intentionnés.

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