dimanche 16 novembre 2025

La sobremesa, ou l’art espagnol de savourer le temps

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En Espagne, on ne quitte pas la table quand le repas est fini. Au contraire, c’est souvent là que tout commence. C’est ce qu’on appelle la sobremesa littéralement « sur la table ». Ce moment suspendu, typiquement espagnol, prolonge le déjeuner autour d’un café, d’un digestif ou d’un simple éclat de rire entre amis.

Dans les cafés, sur les terrasses espagnoles, on reste, on papote, on refait le monde. Pas question de se précipiter. Plus qu’une habitude, c’est une véritable philosophie de vie : prendre le temps, profiter de la compagnie, digérer tranquillement… et laisser les heures filer. Cette tradition est profondément ancrée dans la culture espagnole, où le repas est avant tout un moment social. Le déjeuner, la comida, est d’ailleurs le repas le plus important de la journée, souvent servi entre 14 h et 16 h, ce qui décale logiquement le dîner vers 22 h.

Histoires et origines

La sobremesa trouve ses racines dans le mode de vie rural de l’Espagne d’autrefois. Dans les villages agricoles, le repas de midi était l’un des rares moments où toute la famille se retrouvait, après une matinée passée aux champs. Le climat chaud obligeait à interrompre le travail pendant les heures les plus brûlantes : on déjeunait lentement, puis on restait à discuter avant la reprise, souvent accompagnée d’un café ou d’un petit verre d’anis. Ce moment de repos et de conversation s’est peu à peu transformé en véritable rituel social.

Avec le temps, la sobremesa s’est adaptée à la vie urbaine, sans jamais perdre son essence : le plaisir de prolonger la table. Dans les années 1960-70, alors que la modernisation et la télévision bouleversaient les rythmes familiaux, ce moment a continué de jouer un rôle essentiel dans la cohésion domestique. Aujourd’hui encore, il résiste à la frénésie moderne, célébré aussi bien dans les foyers que dans les bars à tapas.

Pourquoi les Espagnols mangent-ils si tard ?

Ce décalage horaire n’est pas qu’une question d’habitude : il a une origine historique et politique. En 1940, en pleine Seconde Guerre mondiale, le général Franco décide d’avancer l’heure officielle d’une heure pour s’aligner sur l’Allemagne nazie et marquer symboliquement sa proximité avec Hitler. Depuis, l’Espagne vit à l’heure d’Europe centrale (GMT+1), alors qu’elle se situe naturellement sur le même fuseau que le Royaume-Uni ou le Portugal (GMT).

Résultat : le soleil se lève et se couche plus tard qu’ailleurs en Europe. À Madrid, par exemple, la nuit tombe parfois après 22 heures en été. Tout le quotidien s’en trouve décalé : les journées de travail finissent plus tard, les repas aussi. On déjeune quand il fait encore plein soleil, et on dîne alors que la chaleur retombe enfin.

Ce décalage historique a donné naissance à une Espagne où le temps se savoure autant que les repas. Entre la chaleur du midi, la sieste et l’art de prolonger la conversation autour de la table, chaque moment partagé devient un vrai rituel de convivialité. Le projet de Pedro Sánchez de supprimer le changement d’heure biannuel vise à mieux adapter le quotidien aux rythmes naturels tout en mettant fin à une pratique qui ne génère plus de réelles économies d’énergie.

Manger tard, profiter de la sobremesa et laisser le temps filer n’est pas seulement une habitude : c’est un art de vivre, une douceur assumée qui fait tout le charme et la singularité de la culture espagnole.

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