mercredi 19 novembre 2025

Quel aurait été le quotidien d’un Français de Barcelone sous Franco ?

Il y 50 ans, le 20 novembre 1975, mourait le général Franco et avec lui une dictature de cinq décennies. Rapide description de la vie au quotidien à Barcelone pendant ces années de plomb. 

Image de couverture générée par ChatGPT

1939-1975. L’Espagne a vécu sous la plus longue dictature d’Europe. Sans être dogmatique, essayons d’imaginer quelle serait la vie d’un Français de Barcelone durant cette époque. Exercice compliqué, car il y a peu de chances qu’un Européen choisisse de s’expatrier dans un pays totalitaire. Le trajet se faisait plutôt dans l’autre sens. P

lus de 500 000 Catalans ont fui l’Espagne à partir de 1939 pour s’installer principalement dans la zone française de Perpignan. Du coup, les relations se tendent largement avec la France, perçue comme le camp de retranchement des mouvements anti-franquistes. La frontière du Perthus était particulièrement surveillée. Pas de message de bienvenue donc pour les Français cherchant à s’expatrier.

Pas de fromages

La vie en Espagne était particulièrement rude, surtout pendant la première partie de la dictature (de 1939 à 1960). Si aujourd’hui, en tant que Français, on fait le tour des magasins pour trouver une entrecôte de bœuf ou du camembert, durant la dictature, les pénuries étaient au rendez-vous. Essence rationnée, café introuvable, beurre remplacé par de la margarine. Un ministre de Franco avait même émis l’hypothèse de développer le concept de sandwiches à base de dauphin pour nourrir une population affamée.

fromagerie francaise barcelone can luc 1

Au niveau des libertés, la répression était maximale. Actuellement, en tant que Français résident en Espagne, il est possible de voter pour choisir le maire de Barcelone. Chose qui aurait été impossible sous Franco, puisque les élections en général étaient interdites. Le maire, d’ailleurs, était nommé directement par le dictateur.

Pas de festival, pas de carnaval

Il était interdit de s’embrasser dans la rue. Oublions les fêtes populaire si présentes aujourd’hui à Barcelone, car le rassemblement de plus de trois personnes sur la voie publique était tout autant interdit que la consommation d’alcool. Le Carnaval de Sitges et de Barcelone étaient prohibés. Le régime non seulement les empêchait par décret, mais déploya un dispositif de surveillance spécifique : circulaires adressées aux gouverneurs civils, arrêtés municipaux dans chaque commune et surveillance locale pour garantir le respect de l’interdiction. Les festivités institutionnelles comme la Mercé étaient totalement sous contrôle du régime. Tout devait s’arrêter à minuit.

Adieu les journées plage

Par ailleurs, les tatouages étaient également prohibés, amalgamés au style de vie du vagabond. On oublie aussi les journées plages au calme. Sous le franquisme, le port du bikini était expressément interdit par des circulaires qui ordonnaient aux femmes de garder « la poitrine et le dos couverts et de porter des jupettes ».

A Barcelone, les dernières années ont été marquése par des tensions sociales dans les call-centers avec des protestations et des grèves. Chose inimaginable pour Franco. Faire grève était un délit jusqu’en 1975 et tous les syndicats interdits.

Pas de coloc, pas de chat et chien

On oublie aussi les colocs homme/femme ou des couples non mariés qui se prennent un appart. Sous le franquisme, c’était vivre dans le péché, considéré comme immoral et socialement répréhensible. Encore pire, si une famille d’expats venait s’installer avec des enfants, sans avoir contracté un mariage, le Code civil franquiste les considérait comme « illégitimes » et ils ne disposaient quasiment d’aucun droit : ils n’héritaient pas et n’avaient pas droit à la pension de veuvage. Même les animaux étaient soumis à la dictature.

Ventre a pattes keig studio33

Emmener son chat ou son chien était prohibé. Sous le franquisme, l’hygiène était considérée comme « menacée » par les animaux domestiques, que les autorités sanitaires et religieuses déconseillaient fortement.

Salaire de misère pour les femmes

D’ailleurs pour toutes les femmes qui viennent entreprendre en Espagne ou mener une carrière professionnelle, ça se complique, car les femmes mariées ne pouvaient pas travailler sans l’autorisation de leur mari et percevaient des salaires largement inférieurs pour le même travail. Le Code du travail de 1944 établissait que les emplois féminins devaient se limiter à des tâches « propres à leur nature ».

Aujourd’hui, les deux parents bénéficient de 19 semaines rémunérées et obligatoires, dont 6 immédiatement après la naissance, 13 flexibles et 2 supplémentaires jusqu’aux 8 ans de l’enfant. À la fin du franquisme, le congé maternité ne durait que six semaines et uniquement pour les mères. Le congé paternité était inexistant ou, déjà sous la démocratie naissante, limité à seulement deux jours dans les années 1980.

Ciao Erasmus

On oublie Erasmus. Pour les plus jeunes qui viennent aujourd’hui, ils auraient été considérés comme mineurs. Sous le franquisme, la majorité était fixée à 21 ans pour les hommes, mais les femmes de moins de 25 ans ne pouvaient pas quitter le domicile familial sans permission paternelle, sauf pour se marier ou entrer au couvent. De toute façon, pendant les 40 ans de dictature franquiste, la liberté d’enseignement fut systématiquement réprimée. La répression fut particulièrement violente dans les universités, où le régime cherchait à éliminer toute pensée académique susceptible de remettre en cause l’idéologie officielle. Sur les 128 professeurs titulaires de 1936, 44 % furent sanctionnés par le régime.

Barcelone accueille aujourd’hui de nombreux Français qui exercent en qualité de thérapeutes, psychologues, sophrologues, etc. Sous Franco, ces professions étaient aussi interdites. Par contre, on avait l’internement facile dans les asiles psychiatriques.

Equinox n’aurait pas été à la fête, la presse était uniquement tenue par les pontes du régime qui contrôlaient toutes les publications. La censure frappait également les livres, films et musiques.

Pourtant, aujourd’hui encore, 21% des Espagnols estiment que les années de la dictature franquiste ont été bonnes ou très bonnes pour l’Espagne, selon l’enquête réalisée en octobre dernier par la Centre de Recherches Sociologiques (CIS). Et pour 17%, le régime démocratique actuel est pire que la dictature de Franco.

Recommandé pour vous