jeudi 20 novembre 2025

« Franco a fait beaucoup de bonnes choses » : la nostalgie du franquisme existe-t-elle vraiment ?

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Cinquante ans après la mort de Franco, son héritage ne fait pas l’unanimité. Dans les ors des institutions madrilènes comme dans les bars de villages, le dictateur, mort dans son lit le 20 novembre 1975, évoque parfois une certaine nostalgie. Reportage. 

A une heure et demie de Madrid, au coeur de la rurale Castilla-La-Mancha, le village d’Alberche est presque désert ce jour pluvieux du mois de novembre. Son nom complet, Alberche del Caudillo (Caudillo signifie « chef suprême » et était le titre utilisé pour Franco, NDLR), n’apparait pas à l’entrée de la commune, mais est bien apposé sur les plaques de la mairie et les indications municipales. Six villages portent encore des mentions au dictateur dans leur appelation, malgré la loi de mémoire historique qui les oblige à les enlever.

« Cela fait partie de notre histoire », explique Gustavo Gonzalez, cafetier sur la place centrale. Et pour cause. Ce village a été construit en 1957 par le régime franquiste pour offrir du travail et un logement aux plus modestes. « Il leur donnait une maison, un petit terrain, une vache et une mûle », raconte le quinquagénaire, petit-fils d’une des premières familles d’habitants. Une petite centaine de foyers sont ainsi venus s’installer ici pour commencer une nouvelle vie.

Marino Moreno, installé au comptoir avec un café sólo, s’en souvient comme si c’était hier. « J’étais encore un adolescent, on est venus ici avec mes parents et ma soeur, et j’allais travailler à l’usine de coton. Là, Franco prenait 75% de la production pour se rembourser de ce qu’il nous avait donné en arrivant, et les familles avaient le reste ». L’homme évoque’une ambiance unique, où républicains et franquistes se côtoyaient joyeusement, où l’on passait ses soirées ensemble sur la place du village, où l’on ne fermait pas les portes des maisons à clé. « Hier encore, on m’a volé les chaises de la terrasse ! », le conforte Gustavo, lui aussi nostalgique de ces années apparemment paisibles.

La répression franquiste, qui a tué entre 100 000 et 350 000 personnes, les chiffres exacts étant impossibles à vérifier, n’est pas arrivée jusqu’à Alberche. « Qu’il ait fait du bien ou du mal, et c’est sûr qu’il a fait beaucoup de mal, Franco a quand même créé ce village », poursuit le cafetier, pas forcément favorable au régime. « Il a aussi fait beaucoup de bonnes choses, il a vraiment aidé les gens d’ici, qui n’avaient rien, il a été bon avec les plus pauvres, et ça on n’en parle jamais », s’agace sa femme Encarne, à l’autre bout du comptoir.

Nostalgie d’une époque ou d’un régime politique ?

Selon un récent sondage du CIS (Insee espagnol), 21% des Espagnols considèrent que les années franquistes furent « bonnes ou très bonnes ». Un pourcentage qui grimpe avec l’âge : ceux quiont vécu cette époque sont aussi ceux qui la considère le mieux. « C’est plus la nostalgie des années 60-70, d’une génération travailleuse, respectueuse et solidaire, que vraiment la nostalgie du franquisme et aujourd’hui, tout le monde est d’accord pour dire que le niveau de vie et de libertés a considérablement augmenté, et que l’on vit mieux aujourd’hui », analyse Jorge Vilches, professeur d’histoire de la pensée à l’Université Complutense de Madrid. « Le franquisme n’existe plus depuis que les élites franquistes ont été écartées du pouvoir dès la fin des années 70, personne n’est franquiste aujourd’hui ».

alberche caudillo scaled

Selon l’enquête du CIS, cette nostalgie de la dictature a toutefois un côté politique : elle grimpe parmi les électeurs de la droite du Partido Popular (31%) et de l’extrême droite de Vox (42%). « C’est davantage en opposition au gouvernement de gauche actuel, qui utilise le franquisme comme une arme politique pour détruire la droite, qu’une vraie adhésion à la dictature », insiste l’expert, par ailleurs auteur d’un essai sur la société espagnole de 1975.

À Alberche del Caudillo, si les habitants ne sont simplement pas gênés par le nom de leur commune, les élus successifs, eux, en ont fait un cheval de bataille et une revendication politique. La maire actuelle, Ana Isabel Rivelles (PP), n’a pas répondu à nos demandes d’interview. Elle « ne souhaite pas s’exprimer à ce sujet », indique son secrétariat. En 2016, elle a été récompensée par un prix de la Fondation Francisco Franco, dirigée par la famille du dictateur, pour son refus d’appliquer la loi sur la mémoire historique. Une position courageuse, selon l’organisation, qui « fait honneur » à la mémoire du Caudillo.

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