Tremblement de terre politique en Espagne. José Luis Ábalos, ancien ministre des Transports espagnol et député en exercice, er son ex-conseiller Koldo García ont été placés en détention préventive hier à Madrid. Tous deux faisaient partie du cercle très proche de l’actuel Premier ministre Pedro Sánchez.
Photo de couverture : PSOE
Corruption. Ces 10 lettres pourrissent la politique espagnole depuis 40 ans. Le nouveau chapitre de ce fléau national s’appelle José Luis Ábalos. Ex-bras droit du Premier ministre Pedro Sánchez, ultérieurement ministre des Transports, ancien homme fort du Parti socialiste, ce Baron noir espagnol a été exfiltré des arcanes du pouvoir lors du dernier remaniement gouvernemental en juillet 2021. L’affaire se tramait dans les cuisines politiques, avant que le plat principal de la corruption ne sorte dans la salle à manger médiatique sous le nom de « dossier Koldo ».
Le scandale politico-judiciaire parfait pour une tempête médiatique
Car si José Luis Ábalos était l’ombre de Pedro Sánchez, il disposait lui aussi de son numéro 2, prêt à tout dans tous les mauvais coups : Koldo García. Ces deux hommes sont à l’origine de ce scandale politico-financier lié à la gestion de contrats publics, notamment pendant la pandémie, dépensant l’argent du contribuable pour l’achat de masques et autres fournitures sanitaires à des entreprises amies. Selon la Guardia Civil qui a mené une vaste enquête, Koldo García aurait joué le rôle d’intermédiaire entre des entreprises privées, comme celle de l’homme d’affaires Víctor de Aldama, et le ministère des Transports alors dirigé par Ábalos.
Pedro Sánchez et son ministre des Transports en 2018
L’ancien ministre est soupçonné d’avoir facilité ces transactions en utilisant son influence pour attribuer des contrats à des entreprises liées à De Aldama. L’homme d’affaires aurait en retour versé des pots-de-vin à García qui les aurait transmis à Ábalos. Les enquêtes de la Guardia Civil et de la justice espagnole pointent également vers des activités de blanchiment d’argent durant le sauvetage financier d’Air Europa. Le responsable politique, toujours selon la police, aurait effectué des transactions immobilières douteuses et aurait logé sa maîtresse aux frais du contribuable. Des frasques qui auraient conduit Abalos à un enrichissement personnel à hauteur de plusieurs millions d’euros sorti des arcanes publiques.
Bien qu’étant expulsé du groupe parlementaire socialiste, Ábalos s’accroche à son mandat actuel de député. Par son statut d’élu, il est jugé par la plus haute instance judiciaire du pays : le tribunal suprême à Madrid. Et à l’approche du procès, le magistrat en charge de l’affaire a décrété la détention provisoire des deux hommes pour « risque extrême de fuite ». Il estime que compte-tenu de la gravité des faits présumés, des peines encourues (jusqu’à 30 ans), et l’existence d’autres enquêtes en cours impliquant Ábalos (sur des marchés publics truqués), les accusés pourraient être tentés de quitter le pays.
Pour la droite, l’aubaine est trop belle. Alberto Núñez Feijóo, chef du Partido Popula, a convoqué une manifestion dimanche midi à Madrid pour réclamer la démission de Pedro Sánchez. « 100 % du clan qui a accompagné Sánchez dans son retour héroïque en politique finira en prison , et ce n’est pas un fait isolé, mais la démonstration du fonctionnement du pouvoir du président du gouvernement et secrétaire général du PSOE. » a-t-il déclaré. “Quand tous ceux qui l’ont porté au pouvoir finissent en prison, lui doit quitter La Moncloa (le Matignon espagnol, NDLR).”
Grandeur et chute en Espagne
La chute brutale du Premier ministre en fonction semble être une tradition en Espagne. « Allez-vous en Monsieur Gonzalez » avait tonné, en 1995, le chef de l’opposition José Maria Aznar contre le dirigeant socialiste, alors empêtré lui aussi dans des scandales de corruption. Gonzalez s’est tout de même présenté l’année suivante aux élections, et les perdit pour la première fois de sa vie, après six victoires entre 1982 et 1996.
Quinze ans plus tard, c’est un autre socialiste, José Luis Zapatero qui a dû démissionner avec perte et fracas de son poste après sa gestion dramatique de la crise économique. Laissant, en 2011, un pays ruiné au conservateur Mariano Rajoy.
Mariano Rajoy et Pedro Sánchez en 2018
Le même Rajoy s’est fait destituer par une motion de censure parlementaire en 2018, après que son parti politique, le PP, fut officiellement déclaré coupable dans l’une des plus grandes affaires de corruption politique en Europe. Le mouvement, via son trésorier Luis Barcenas, avait monté un réseau de financement occulte qui s’est terminé par un total de 350 ans de prison pour une dizaine de cadres du parti.
La droite se prépare pour prendre le pouvoir
Et c’est ici que l’on retrouve Pedro Sanchez qui a pris la suite de Rajoy en 2018 suite à la motion de censure. Aujourd’hui, le Partido Popular, en pleine forme malgré sa condamnation, veut rendre la monnaie de sa pièce à l’actuel Premier ministre. Le parti d’opposition envisage une destitution par motion de censure, après lui avoir administré une sévère leçon de morale médiatique sur la corruption des élites. Sans honte bue, le PP a officiellement porté plainte dimanche dernier contre le Parti socialiste, au nom du peuple espagnol et en raison de l’argent public dérobé.
« Il faut sans cesse se jeter du haut d’une falaise et se doter d’ailes durant la chute », a écrit le romancier américain Ray Bradbury. Pedro Sánchez, auteur du mythique best-seller Manuel de résistance, entend mener bataille et ne pense aucunement s’écraser. Pour l’éliminer du jeu politique, il faudra que les indépendantistes catalans, sept députés au Parlement, s’allient à la droite et à l’extrême-droite pour obtenir une majorité lors du vote de la motion de censure. Pour le moment, le parti de Carles Puigdemont penche à gauche, après avoir négocié avec les socialistes l’amnistie pour les délits commis en 2017 lors de la déclaration illégale d’indépendance de la Catalogne.
Le tir de barrage de Pedro Sánchez est l’approbation des budgets de l’Espagne pour 2025 que doit voter le Parlement dans les prochains jours. Les équipes du Premier ministre négocient âprement avec les indépendantistes des avantages financiers et fiscaux pour la Catalogne en échange de leurs voix lors de l’examen de la loi des finances. Si les budgets sont adoptés avec les suffrages catalans, la motion de censure s’éloignera du locataire du Palais de la Moncloa. Simultanément, Sanchez a convoqué un grand congrès pour rénover son parti socialiste le mois prochain.
Tandis que la droite veut démontrer que Pedro Sánchez est un cadavre politique, le leader conservateur Alberto Feijóo est prêt pour former son gouvernement. Le socialiste, lui, affirme qu’il est en pleine forme et que son mandat se terminera comme prévu en juillet 2027.

