mercredi 3 décembre 2025

Travailleur humanitaire européen condamné à dix ans de travaux forcés en Centrafrique pour espionnage présumé

La Passerelle du Palais de Justice

La Cour d’appel de Bangui a condamné Martin Joseph Figueira, ressortissant belgo-portugais et ancien consultant pour l’ONG américaine FHI 360, à dix ans de travaux forcés pour espionnage, complot, atteinte à la sûreté de l’État, complicité de rébellion, association criminelle et incitation à la haine. Le verdict a été rendu le 4 novembre 2025, à l’issue d’un procès de six jours largement suivi dans le pays.

Arrêté en mai 2024 à Zemio, près de la frontière sud-soudanaise, Figueira était accusé, selon AP News et Africanews, d’avoir fourni un soutien logistique et des renseignements à des groupes armés actifs dans l’est du pays. Le parquet a présenté des communications le reliant à des chefs rebelles tels que Nouredine Adam, Bello Saïdou et Ousmane Mahamat. Figueira a reconnu des contacts dans un cadre de “médiation humanitaire”, tout en niant tout but criminel. Il a également affirmé avoir coopéré de manière informelle avec la CPI en 2023, une déclaration contestée par le procureur.

Contexte des groupes armés et charges retenues

La République centrafricaine fait face depuis des années aux exactions de plusieurs groupes :
– l’UPC, dirigé par Ali Darassa, cherchant à contrôler des zones riches en ressources ;
– les 3R, fondés par Sidiki Abass, responsables d’attaques violentes et de pillages ;
– le FPRC, sous la direction de Nouredine Adam, engagé dans les affrontements armés ;
– et les Anti-balaka, connus pour des violences contre les civils.

Ces factions sont associées à des crimes graves : violences sexuelles liées au conflit, enrôlement d’enfants, déplacements forcés, exploitation illégale des ressources, attaques contre des humanitaires. L’enquête centrafricaine affirme que Figueira était en contact direct avec leurs dirigeants.

Des médias de Bangui ont également publié des courriels présentés comme des échanges entre Figueira et Nicolás Herrera, haut responsable à la CPI, évoquant des transferts financiers vers des intermédiaires liés à la rébellion — une allégation sur laquelle la CPI n’a pas commenté, selon Reuters (octobre 2025).

Réactions internationales et cadre politique

Human Rights Watch a dénoncé des irrégularités procédurales, rappelant que Figueira avait passé plus d’un an en détention préventive à la prison militaire de Ngaragba sans accès confirmé à un avocat indépendant. Le Parlement européen a, en octobre 2025, interpellé la Commission européenne pour demander des clarifications sur les charges et les conditions de détention.

Le ministère centrafricain de la Justice assure que la procédure a respecté le droit national et qu’aucune motivation politique n’est en jeu.

Selon plusieurs analystes et éditorialistes, cette affaire illustre la zone grise qui persiste entre l’action humanitaire et l’ingérence politique dans les contextes de conflit. En République centrafricaine, où de nombreuses ONG étrangères sont actives dans des zones contrôlées par des groupes armés, les autorités tendent à interpréter certaines initiatives de médiation comme des atteintes à la souveraineté nationale, surtout depuis le renforcement des partenariats sécuritaires avec la Russie et le Rwanda.

Accords de paix et évolution du conflit

L’affaire intervient dans un contexte marqué par l’échec de l’Accord de Khartoum de 2019, suivi de l’attaque de Bangui en décembre 2020 par la coalition rebelle CPC. Avec l’appui officiel de ses alliés russes et rwandais, le gouvernement a progressivement repris les territoires occupés.

Le 10 juillet 2025, une cérémonie officielle à Bangui a scellé un nouvel accord de paix entre le président Faustin-Archange Touadéra, l’UPC et les 3R. Ali Darassa et Sembe Bobo ont accepté le désarmement total et la réintégration de leurs combattants, annoncée comme la fin d’un cycle prolongé de violence.

En droit centrafricain, l’espionnage et la collaboration avec des groupes armés peuvent être punis de la réclusion à perpétuité ou de travaux forcés. La peine infligée à Figueira demeure en-deçà du maximum. Il reste détenu à Bangui en attendant une éventuelle décision d’appel.

Sources citées dans le texte :

AP News (May 2024) ; Africanews (July 2024) ; VOA News (October 2024) ; Reuters (October 2025) ; Africa Confidential (September 2025) ; Human Rights Watch (June 2025) ; European Parliament (Q-004194/2025) ; BBC Africa (November 2025).

Recommandé pour vous