Après la feuille de route vers l’indépendance déployée par le gouvernement catalan depuis septembre 2015, les élections de ce 21 décembre constituent un carrefour historique.
Le scrutin est marqué par les restes du référendum non autorisé du 1er octobre, par l’incarcération et l’exil du gouvernement sortant et la mise sous tutelle de la Generalitat. Les indépendantistes ont revu leurs ambitions à la baisse. La république catalane n’a été proclamée que symboliquement et le processus constituant du nouvel État n’est qu’une chimère. Les séparatistes ont pour seul objectif à court et moyen terme de récupérer les institutions catalanes qui sont passées sous le contrôle espagnol.
Retour en 1977, quand la Catalogne votait pour la première fois, au sortir de la dictature franquiste, et que le but du scrutin de l’époque était le retour de la décentralisation. Le nouveau gouvernement sorti des urnes, après le vote du 21 décembre 2017, qu’il soit indépendantiste ou non, voudra négocier avec l’État espagnol la récupération des compétences autonomiques suspendues: la gestion des finances de la Generalitat, le contrôle de la police les Mossos d’Esquadra et le déblocage des comptes bancaires de la Catalogne.
Frappé de plein fouet par l’article 155 de la Constitution espagnole, le bloc indépendantiste s’est fracturé et les trois familles historiques du séparatisme se présentent séparément sous leur propre étiquette. Les forces contraires à l’indépendance sont également présentes sur trois listes: centristes libéraux de Ciutadans, socialistes et conservateurs de Mariano Rajoy. Enfin la branche locale de Podemos se place dans le « Ni-ni ». Ni indépendantiste, ni unioniste.
Les coalitions possibles
Pour former une majorité parlementaire qui investira le prochain président de la Catalogne et son gouvernement, le bloc indépendantiste et le bloc l’unioniste devront former une majorité d’au moins 68 députés sur les 135 que compte le Parlement catalan. Les sondages étant extrêmement serrés, trois possibles coalitions sont envisageables. Une première: une coalition des trois partis indépendantistes. Dans ce scénario, les indépendantistes devraient, après avoir récupéré avec grandes difficultés les compétences de la Generalitat, mettrent en place des politiques indépendantistes plus « light ». Sous pression de la justice, les séparatistes n’ont pas une grande marge de manœuvre pour tenter de proposer de nouvelles lois de « déconnexion » avec l’Espagne.
Seconde possibilité: si les indépendantistes n’ont pas de majorité, une grande coalition de gauche menée par les séparatistes d’ERC pourrait voir le jour. Le parti d’Oriol Junqueras devrait dans ce cas de figure, abandonner toute démarche indépendantiste pour se concentrer sur des lois sociales afin de s’assurer le soutient des socialistes et de Podemos, une option compliquée.
Troisième scénario, encore plus improbable: une coalition anti-indépendance avec Ciutadans, les socialistes et le parti de Mariano Rajoy. Il faudrait une véritable surprise pour que ce scénario devienne réalité car les sondages n’octroient pas les 68 sièges nécessaires aux partis non-indépendantiste.
Les candidats
Oriol Junqueras, ancien vice-président du gouvernement catalan et leader du parti de gauche indépendantiste (ERC) est favori de ce scrutin. Pour sa participation à l’organisation du référendum du 1er octobre, l’ancien ministre est en prison préventive depuis le 2 novembre dernier. Il mène campagne activement depuis la cellule de sa prison en publiant des tribunes et des interviews écrites dans la presse catalane. Des 3 listes indépendantistes en lisse, ERC est celle qui a mis le plus d’eau dans son vin. Oriol Junqueras espère arriver devant Puigdemont afin d’avoir la légitimité de former son propre gouvernement qui serait soutenu par les amis de l’ancien président.
Oriol Junqueras a reconnu que la Catalogne ne pourrait pas être indépendante à court terme et qu’il faudra travailler pour obtenir cet objectif dans un délai de 15 ans. Pour donner une identité à la future République catalane, Oriol Junqueras souhaite mettre en avant des lois à caractère social. Nouveau bras de fer en perspective avec l’Etat espagnol, car les législations en la matière sont de compétence nationale. ERC vise la présidence de la Generalitat soit dans le cadre du coalition indépendantiste avec les amis de Puigdemont, soit une grande union de gauche avec les socialistes. Dans les deux cas, la tâche va être ardue. Junqueras espère aussi arriver en tête de l’élection pour négocier avec le parquet judiciaire sa libération de prison. En cas d’échec, c’est son bras droit Marta Rovira qui pourrait prendre la tête de la Generalitat.
Carles Puigdemont joue dans cette élection son futur aussi bien personnel que politique. En cas de victoire dans les urnes, l’ancien président compte s’appuyer, comme Junqueras, sur le vote populaire pour négocier avec le procureur espagnol un abandon des charges qui pèsent contre sa personne dans le cadre de l’enquête sur la déclaration d’indépendance. En cas de défaite, c’est-à-dire largement distancée en votes par Junqueras, Puigdemont pourrait se retrouver à Bruxelles ad vitam aeternam. Cependant, Carles Puigdemont semble avoir déjà opté pour un discours teinté de pugnacité envers Junqueras. « Je suis encore et toujours le président légitime de la Catalogne. Mariano Rajoy tente de me destituer illégalement avec l’article 155 de la Constitution. Ces élections ne servent pas à choisir un président mais à restituer la démocratie, tous ceux qui prétendent le contraire sont dans le camp du 155 » analyse Puigdemont. En d’autres termes, même s’il arrive derrière Junqueras en nombre de votes, Puigdemont compte se faire investir président par le prochain Parlement. Chose que refuse le camp Junqueras, ce qui pourrait provoquer un grave blocage institutionnel.

Pour être investi chef de la Catalogne, il faut 68 députés, mais aussi qu’Inès Arrimadas arrive à rassembler autour d’elle les socialistes, la droite et Podemos. Pour le dernier parti, ça semble totalement impossible en raison de clivage droite gauche, ce qui barrerait définitivement l’accès d’Arrimadas au Palau de la Generalitat. Même si elle arrive première, elle n’empocherait pas les indépendantistes pour former une majorité de 68 sièges, mais la pression médiatique d’Arrimadas serait très forte, autant pour les séparatistes que pour Mariano Rajoy. Dans cette élection, Ciutadans va aspirer les votes du Partido Popular (PP) de Mariano Rajoy, ce qui peut ouvrir l’espace d’une nouvelle droite plus jeune et moderne et donc faire de la concurrence dans tous le pays au PP lors des prochaines élections municipales et européenne de 2019.

Dans un paysage saturé par des offres plutôt à gauche (ERC – Junts pel Cat – Podemos – la CUP) Iceta s’ouvre sur un concept de droite modérée chrétienne-démocrate. Il cherche à reproduire l’alchimie de l’ancienne Convergència i Unió qui a gouverné pendant 20 ans avec Jordi Pujol. L’objectif de Miquel Iceta est clairement de ne pas faire de la figuration et de devenir le 131e président de la Catalogne. Même si il fait moins de voix qu’Arrimadas, Iceta pourrait réussir à obtenir le soutien de Podemos (ce qui est impossible pour Ciutadans) et de réussir à forcer une coalition avec la droite et Arrrimadas qui lui ouvrirait les portes de la Generalitat. En cas d’échec de cette opération, il n’est pas exclu qu’Iceta accepte in fine de soutenir un Junqueras qui aurait abandonné les plans séparatistes.


Xavier Albiol a la lourde tâche de représenter le Partido Popular en Catalogne. Albiol se place à la droite de son parti et de Mariano Rajoy. Il réclamait une application de l’article 155 encore plus dure, avec la prise de contrôle sur les programmes d’éducation scolaire en Catalogne ou encore la fermeture de la télévision publique TV3 jugée indépendantiste. L’article 155 défendu par Albiol a du mal à passer même dans les secteurs conservateurs qui se tournent massivement vers Inés Arrimadas. Panique à Madrid, où Mariano Rajoy craint que le PP arrive en dernière position dans cette élection. Le signal serait violent pour Mariano Rajoy et pourrait fragiliser la suite de son mandat à la tête du gouvernement espagnol.
