Jordi Pujol : de la gloire à la chute du président catalan

medecin français à Barcelone

Jordi Pujol a 90 ans. L’homme politique le plus puissant que la Catalogne n’ait jamais connu a gouverné le pays de 1980 à 2003. Retour sur une carrière singulière. Du firmament à l’abysse. 

« Si seulement, j’étais mort avant tout ça, maintenant je n’ai pas le choix, je dois endurer et résister ». Il y a deux ans, devant de jeunes militants dans un restaurant, celui qui a présidé la Catalogne glaçait ses interlocuteurs exprimant son regret d’être encore en vie. La Catalogne moderne avec sa police intégrale (les Mossos d’Esquadra), son réseau de santé public, son système d’éducation géré depuis Barcelone est l’héritage de la politique de Jordi Pujol.

Premier président catalan avec le rétablissement de la démocratie en 1981, toutes les institutions de la Catalogne avaient disparu durant les quarante années de dictature. Tout restait à créer, développer, réaliser. Jordi Pujol, avec la complicité de Madrid, reconstruit la Catalogne pendant trente ans. Celui qui faisait la pluie et le beau temps sur le territoire catalan a été emporté par une tempête qui portait le nom de Corruption. Avec un grand C.  L’ampleur de la fraude engendrée par l’homme politique est à la hauteur de son destin institutionnel: historique.

Prison

Us presentem el general Franco (« Nous vous présentons le général Franco »), un manifeste écrit en 1960 par Jordi Pujol le conduira derrière les barreaux. Activiste catalan contre la dictature, il sera torturé dans les geôles franquistes. Séquence dramatique qui lui vaudra l’image d’un Charles de Gaulle catalan.

Un an avant la fin de la dictature, en 1974, Jordi Pujol anticipe le retour de la démocratie et fonde Convergencia Democratica de Catalunya (CDC). Le parti catalan hégémonique dirigera la Catalogne pendant quatre décennies, dont les présidents Artur Mas et Carles Puigdemont sont issus.

jordi pujol

Le 

Coup d’État

Lundi 

Le but de ce “tout pour l’Espagne” est de faire tomber le régime démocratique. Deux courants se dessinent au sein des putschistes. Le plus radical souhaite un retour au franquisme et l’autre, plus modéré, veut prendre exemple sur la France voisine. Un général (comme de Gaulle) serait à la tête d’un gouvernement d’union nationale composé de socialistes et communistes. Pour faire aboutir le coup d’État, les putschistes attendent le soutien du plus gradé d’entre eux: le roi d’Espagne Juan Carlos.

Pour l’instant, c’est le silence radio du côté de la maison royale. La première voix institutionnelle à se faire entendre sera celle du président de la Catalogne: Jordi Pujol. Avec la vacance du pouvoir à Madrid, la Generalitat de Catalogne devient une puissante institution qui peut changer le cours de l’histoire en Espagne.

Nationaliste catalan, Jordi Pujol a été d’une absolue loyauté au roi d’Espagne et à la Constitution espagnole. Homme d’État lucide, il a bien compris que si le coup d’État réussissait, c’était le retour de la dictature en Espagne. Il a été l’un des rares à réussir à contacter le roi. Le souverain rassure son interlocuteur en lui confiant qu’une déclaration télévisée allait rapidement avoir lieu: la situation paraît sous contrôle.

Pourtant les heures passent et le roi ne s’exprime pas. Des manifestants inquiets commencent à affluer sur la place Sant Jaume à Barcelone devant la Generalitat. Jordi Pujol prend alors la parole en catalan sur la radio locale. Un discours rassurant, malgré une prise d’otage au Parlement national. Il explique à ses auditeurs que le roi va rapidement prendre la parole et insiste que dans la plupart des endroits du pays la situation est normale. Quelques heures plus tard, toujours dans l’attente de l’intervention du roi, Jordi Pujol fera son discours devant l’Espagne entière sur la radio nationale.

juan carlos roi d'Espagne

Finalement, dans la nuit, à plus d’une heure du matin, le roi apparaît martial sur l’unique chaîne de télévision espagnole. Habillé en tenue de général pour rappeler qu’il est le chef des forces armées, le roi “ordonne aux chefs d’état-major de prendre toutes les mesures nécessaires pour maintenir l’ordre constitutionnel dans le respect de la législation en vigueur”. Autrement dit, Juan Carlos appelle à mettre fin au coup d’État.

Corruption

L’année suivante, en 1982, Jordi Pujol est mis en cause dans une affaire de corruption. La banque catalane qu’il a fondé dans les années 60 est en faillite. L’affaire est sortie par l’agence Europa Press et reprise par les journaux espagnols: Pujol et ses amis auraient allègrement tapé dans la caisse. Il réussit à se débarrasser de la patate chaude en jurant que la presse madrilène l’attaquait en raison de son rôle de défenseur de l’identité catalane. Pour la première fois, Jordi Pujol amalgame sa personne avec son pays. Attaquer Jordi Pujol, c’est s’en prendre à la Catalogne. L’affaire de la faillite de la banque n’était qu’un simple hors-d’oeuvre de l’énorme banquet frauduleux qu’engloutira le président.

Malgré les soucis judiciaires, il sera réélu président de la Catalogne en 1984 et 1988, gagnant haut la main les élections.

Pouvoir

1992, est un tournant dans la carrière politique du leader catalan. L’arithmétique parlementaire espagnol jouera en faveur de Jordi Pujol. Le Premier ministre socialiste Felipe González, suite à un mauvais résultat aux législatives, perd sa majorité absolue. Il a besoin d’un partenaire pour gouverner l’Espagne. Le groupe parlementaire du parti de Jordi Pujol, Convergencia, offrira une majorité stable aux socialistes. En contrepartie, le président catalan négocie la gestion de l’impôt sur le revenu à hauteur de 15% par le gouvernement catalan. Une décentralisation de compétences fiscales qualifiée de chantage par la presse madrilène et l’opposition de l’époque.

En 1996, Jordi Pujol réitéra l’opération, cette fois-ci avec les conservateurs du Partido Popular. Lors de la signature du pacte du Majestic. Dans l’hôtel barcelonais, le gouvernement catalan apporte le soutien parlementaire nécessaire au Premier ministre de droite José María Aznar qui accéléra en échange la décentralisation.

pacte del majestic independance de la Catalogne

En 2003, à la fin du mandat de Pujol, la Catalogne dispose de sa police intégrale les Mossos d’Esquadra, administre les programmes scolaires comme elle l’entend, gère la santé publique et dirige toute la politique culturelle. A terme, le but était de faire disparaître l’administration espagnole du territoire catalan au profit de la bureaucratie locale. Un plan qui n’aura pas lieu avec l’arrivée au pouvoir des socialistes à la Generalitat. Plus tard, la rupture engendrée par le processus indépendantiste mettra fin à toute décentralisation en Catalogne.

Indépendentisme

Justement, Pujol était-il un indépendantiste rampant préparant les infrastructures pour avoir demain un État indépendant ou un catalaniste ne souhaitant pas couper les ponts avec le royaume d’Espagne ?

Les proches de l’ex-président sont divisés sur le sujet. Josep Antoni Durán i Lleida patron d’Unió, le petit parti démocrate chrétien allié de toujours avec Convergencia, est persuadé que Pujol a toujours été indépendantiste. Dans ses excellentes mémoires publiées au printemps aux éditions Planeta, Duran écrit : « l’indépendantiste Pujol était politiquement intelligent et conscient que ce n’était pas un projet qui avait sa place dans la société catalane, ni une possibilité de développement dans l’Espagne constitutionnelle ou dans une Europe unie. Le travail du processus indépendantiste était une affaire de quelques-uns et a commencé à fonctionner à partir de 2011-2012 sous la présidence d’Artur Mas ». 

Le journaliste Francesc-Marc Alvaro, spécialiste de la droite catalane et auteur de la biographie pujolienne « Ara si que toca » pense exactement le contraire: « il n’a jamais été indépendantiste, mais il termine sa vie en partant du principe que le monde dans lequel il vit est devenu indépendantiste. »

Tout au long de son existence politique, le président Pujol a été d’une loyauté sans faille envers l’Espagne. Lors du coup d’État de 1981, mais aussi lors de l’entrée dans la monnaie unique, où le pays devait appliquer les sévères normes budgétaires imposées par le traité de Maastricht. Les socialistes alors au pouvoir, n’avaient pas les votes suffisants pour valider le texte budgétaire que l’Europe réclamait. A quelques semaines des élections catalanes, les députés de Convergència ont voté le texte, quitte à perdre des voix en soutenant une loi d’austérité économique impopulaire. « Nous avons eu un sens de l’État plus fort que la droite espagnole patriote » souligna à l’époque Pujol. Sans le vote de Convergencia, l’entrée espagnole dans au sein de l’euro aurait pu être retardée. Impensable pour cet europhile qui parle anglais, français, allemand, italien et qui a disserté plus d’une fois devant les instances européennes.

Pourtant en 2010, alors à la retraite politique et à la surprise générale, dans une interview sur la chaîne espagnole La Sexta, Pujol annonça qu’au jour d’aujourd’hui il voterait oui à l’indépendance de la Catalogne car il « n’a aucun argument contre les indépendantistes, contre les mauvais traitements que la Catalogne subit de la part de l’État ».

Le Tribunal constitutionnel retoqua cette année-là, une réforme du statut d’autonomie de la Catalogne qui offrait de nouvelles compétences locales, notamment en matière d’impôts. Un texte pourtant adopté par référendum populaire ainsi que via les Parlements catalans et espagnols. L’annulation du nouveau statut d’autonomie par un Tribunal constitutionnel ultra-conservateur, jeta une douche froide sur la Catalogne et glaça sa relation avec l’Espagne.

Confession

Deux années plus tard, Jordi Pujol se confessa. Le patriarche, dans un communiqué, avoua avoir caché pendant toute la durée de son mandat une fortune en Andorre pour échapper au fisc. Le père de la nation catalane tomba alors de son piédestal. Jordi Pujol du fait de son grand âge, 89 ans, ne sera jamais jugé. Mais l’argent détourné dépasse largement sa confession d’évasion fiscale.

Durant les trente ans de pouvoir à la Generalitat, mais aussi au sein des mairies que Convergencia administrait, les élus touchaient une commission de 3 à 6% sur une grande partie des travaux publics. Une large part de ses pots-de-vins ont servi à financer Convergencia et la sulfureuse famille Pujol, dont deux fils ont fait de la prison pour détournement.

L’omni président est depuis disparu de la circulation. Il rêvait de funérailles nationales, il doit finir sa vie reclus dans son appartement familial de la rue du General Mitre de Barcelone.

L’une des rares interventions de Pujol post-confession fut en octobre 2017. L’ancien président déchu écrivit une lettre à Carles Puigdemont pour lui demander de renoncer à la déclaration d’indépendance. Pour ne pas mettre en danger les institutions catalanes.

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