La (vraie) histoire des patatas bravas

medecin français à Barcelone

Tous les samedis, Equinox et les grands chefs barcelonais du restaurant Disfrutar, et le critique gastronomique Jaume Fàbrega, éclairent sur la véritable origine des plats phares de la gastronomie espagnole. Ce week-end, direction Madrid pour découvrir les patatas bravas, dont vous n’avez certainement jamais goûté la sauce authentique !

Rien qu’en prononçant ces mots, « patatas bravas », on se sent déjà un peu en vacances. Ce petit en-cas simple mais efficace a le pouvoir de nous transporter sur la terrasse d’un petit bar à tapas, sur une place typique espagnole. Mais où, exactement ?

Car il existe un débat sur le nom des patatas bravas. Madrid et Barcelone se disputent (une fois encore) l’origine du mot « brava »… Et, malheureusement pour la capitale catalane, c’est bien à Madrid que semble être né le plat.

C’est d’ailleurs une recette très récente, contrairement à de nombreuses recettes de la gastronomie espagnole. « Les patatas bravas commencent à être servies dans des bars dans les années 1960« , raconte Eduard Xatruch, chef du restaurant Disfrutar à Barcelone et Compartir à Cadaqués. Mais on sait que la recette était déjà cuisinée dans l’après-guerre, en Espagne, dans les années 1950.

Les pommes de terre du pauvre

« Il y avait des pénuries, et la pomme de terre est un aliment bon marché que l’on consommait beaucoup à l’époque« , explique le chef. Une manière simple d’obtenir un repas était donc de faire frire quelques pommes de terre et de les accompagner avec une sauce facile à faire et peu chère. « C’était une période de famine, et n’importe quelle façon de donner du goût à un aliment bon marché était la bienvenue« , commente Jaume Fàbrega, historien, écrivain et critique gastronomique.

Photo : Madrid, 1950. Archivo ABC

Il s’agit d’un plat tellement populaire qu’il est même parfois surnommé « patatas a lo pobre » ou ‘pommes de terres à la pauvre’, dans le livre Vivir en Madrid de Luis Carandell (1967). C’est cet ouvrage qui mentionne pour la première fois les « patatas bravas » en tant que telles : « les patatas bravas, que l’on appelle parfois les ‘pommes de terre à la pauvre’, sont des pommes de terre frites avec de la sauce piquante, comme on imagine les pauvres mangeant des pommes de terre, c’est-à-dire en trempant du pain dans de la sauce« .

Dans les années 1950-1960, deux bars madrilènes commencent à servir des patatas bravas aux clients : la Casa Perico et La Casona. Le plus habituel était de déguster ses patatas bravas avec une pinte de bière ou un verre de vin rouge. « Ces deux établissements n’existent plus aujourd’hui, ils ont fermé dans les années 1960« , précise Jaume Fàbrega. « À l’époque, de longues queues se formaient devant ces bars, de clients qui voulaient déguster ces pommes de terre. »

Des origines incertaines

Mais il faut bien le reconnaître : faire des patatas bravas, ce n’est pas sorcier. Le concept de pommes de terres frites servies avec une sauce piquante a certainement été inventé et réinventé simultanément à plusieurs endroits et plusieurs époques différentes. « On retrouve d’ailleurs des écrits du XVIIème siècle qui mentionnent déjà que les gens mangeaient des pommes de terre frites avec de la graisse par-dessus, ainsi que du safran ou du paprika« , remarque Xatruch.

Photo : Paladar Delicioso/Youtube

On trouve une autre mention de ce type dans le livre El Practicón (1893) d’Ángel Muro, signale Jaume Fàbrega : « N’importe quoi, n’importe quel assaisonnement, connu ou pas, est bon avec des pommes de terre. Même avec de la graisse animale et du safran, comme le font les pauvres de Madrid« .

Difficile, donc, de donner une date et un lieu de naissance clairs aux patatas bravas.

La recette originale boudée

Bien sûr, servir des pommes de terres frites n’a pas grand-chose d’original. Mais ce qui fait toute la magie du plat, c’est la sauce « brava ». Et il est très probable que vous n’ayez jamais goûté l’originale. « Très peu d’établissements servent encore la sauce originale des patatas bravas« , remarque Eduard Xatruch, « c’est devenu assez difficile d’en trouver« .

Quel est donc le secret de cette sauce ? La recette est pourtant simple comme « hola » : du bouillon de volaille ou de pot-au-feu, du paprika piquant, et un peu de farine pour lier le tout, explique le chef du Disfrutar.

Mais devant le succès des patatas bravas, celles-ci voyagent très vite à travers l’Espagne et leur recette originale ne suit pas.

Une sauce en remplace une autre

Passant d’abord par Barcelone, les Catalans réinventent son concept à leur « sauce » et ajoutent, sous la sauce « brava », la fameuse aïoli (à base d’aïl et d’huile, d’où son nom ‘allioli’).

Et chaque région ajoute son grain de sel à la recette, y mettant du vinaigre, de l’oignon… « Il y a mille et une versions« , résume Eduard Xatruch : « à Valence, on saupoudre l’aïoli de paprika piquant au lieu de la sauce. En Galice, on cuisine la sauce ‘brava’ avec le bouillon de la cuisson des moules ! »

Photo : La Empana Light de Bego

On rencontre même des patatas bravas dont les pommes de terre ne sont pas frites, mais cuites à l’eau ou au four, précise le critique gastronomique, comme à Valence et en Andalousie par exemple.

Aujourd’hui, non seulement la recette originale des patatas bravas est boudée, mais elle est en plus imitée (assez grossièrement). Selon Jaume Fàbrega, la recette a été « vulgarisée » avec le tourisme qui a poussé à la popularisation du plat. « Cela donne lieu à de nouvelles versions avec des ingrédients plus abordables, comme le ketchup et la mayonnaise, et possiblement du Tabasco. »

Indissociable des Espagnols

Malgré tous les débats sur l’authenticité de leur recette, les patatas bravas sont devenues absolument indissociables de la vie des Espagnols. Elles ont été adoptées et adaptées par toutes les régions et tous les bars, et exportées à l’international comme un plat-phare de la gastronomie espagnole.

« C’est ce qu’on va typiquement picorer avec des amis, le samedi soir dans un bar« , commente le chef du Disfrutar, « et ça vaut en apéritif, entrée ou même en-cas« .

Des patates agressives

L’origine du mot « brava« , adjectif relatif à la sauce des pommes de terre, signifie tout simplement ‘agressif’, ‘féroce’ en espagnol. Une explication parfaitement logique, étant donné le piquant de la sauce.

Comment reconnaître de vraies patatas bravas ?

Pour Jaume Fàbrega, les pommes de terre doivent tout d’abord être coupées en gros dés, d’environ 4 à 5 centimètres, et frites dans de l’huile d’olive « jusqu’à ce qu’elles soient croustillantes à l’extérieur et tendres à l’intérieur« . Le critique insiste d’ailleurs sur le fait qu’en aucun cas elles ne peuvent être réchauffées au micro-ondes.

Photo : El Español

Pour la sauce, on sait que l’originale « brava » est devenue presque introuvable ; mais c’est pourtant la plus authentique, et pourquoi pas avec de l’aïoli.

Où manger de bonnes patatas bravas ?

Comme toujours, le mieux est de demander aux locaux où trouver les meilleures patatas bravas. Éviter les coins très touristiques, et se diriger vers les bars où vont les Espagnols.

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Merci au chef Eduard Xatruch des restaurants Disfrutar (carrer Villarroel 163 à Barcelone) et Compartir (Riera Sant Vicenç 17488 à Cadaqués), et à Jaume Fàbrega, historien, écrivain et critique gastronomique.

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