Les différences entre clavier espagnol et français peuvent devenir un véritable casse-tête, pour les non-initiés. Mais il existe une explication, derrière ce petit problème de la vie de tous les jours.
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C’est l’une des « grandes » difficultés auxquelles doivent faire face les expatriés, entre la France et l’Espagne, et qui doivent changer d’ordinateur : les claviers différents, qui donnent lieu à une telle prose (« Si vous écriez comme ceci, c’est que vous êtes Français »).
Et pourtant, l’Espagne et la France auraient bien pu disposer du même clavier… et cela a même été le cas, durant une courte période.
Les claviers espagnol et français, du même père
Pour expliquer cette histoire, il faut comprendre le pourquoi de l’ordre des lettres, sur nos claviers.
Les claviers français et espagnol sous des « descendants » directs du clavier américain QWERTY, qui a vu le jour au milieu du XIXème siècle (soit bien après la naissance de la machine à écrire, début XVIIIème).
Le fabricant de machines à écrire Christopher Latham Sholes remarque qu’avec les claviers de l’époque, disposés dans l’ordre alphabétique ou aléatoirement, les tiges actionnées par les touches et qui impriment les caractères sur le papier se mélangent et se bloquent. La solution est donc toute trouvée : mettre les lettres dans une suite de combinaisons peu utilisées, pour que les touches proches ne soient pas actionnées au même moment, et ainsi limiter le risque de coincer le mécanisme.
Machine à écrire Remington des années 1920. Photo : Rêveries et bois
Idée de génie ? Oui, mais non. Car l’Américain se base sur le code morse pour établir sa disposition de lettres, utilisée dans les télégraphes de l’époque ; il n’utilise pas la grammaire anglaise de base. Le système n’est donc pas des plus efficaces… mais c’est un succès commercial, et le QWERTY établi par Sholes s’installe même chez les concurrents.
Clavier en croisière transatlantique
Le QWERTY voyage logiquement jusqu’en France et en Espagne, qui achètent des machines américaines, à l’aube du XXème siècle. Les deux pays partagent donc, à ce moment-là, le même clavier… mais pour quelques années seulement.
En France, à part la disposition des signes et des chiffres, quatre lettres changent de place par rapport au modèle américain (“A”, “Q”, “Z” et “M”), devenant l’AZERTY actuel. Un changement logique, puisque la grammaire française est différente de l’anglaise ? En fait, personne ne le sait vraiment.
Rien n’indique que le clavier ait changé pour s’adapter à la langue française, et il est d’ailleurs très probable qu’il s’agisse d’une disposition purement aléatoire, remarque Delphine Gardey, chercheuse au Centre de recherche en histoire des sciences et des techniques à Paris. Toutes les machines américaines importées en France au début du XXème siècle possèdent leurs variantes, et elles ont même des nombres de touches différents, même si le modèle de base reste globalement QWERTY.
Et en plus d’être certainement aléatoire, cette disposition est loin d’être la plus efficace. Cocorico : en 1907, une commission propose le clavier ZHJAY, qui permet d’écrire plus facilement et rapidement en français. Mais il ne peut pas lutter contre les Américains. L’AZERTY, cousin du QWERTY, est trop répandu, et tous les dactylographes ont appris sur ces modèles.
La France gardera donc une étrange copie du QWERTY pour clavier.
L’Espagne copie les États-Unis
Ce n’est pas le cas en Espagne. Le clavier QWERTY rentre immédiatement dans la norme et ne subit qu’un seul petit changement en ce qui concerne la disposition des lettres : le « Ñ », que l’on rajoute à côté du « L ». Les signes et les chiffres varient, mais pour le reste, les Espagnols ne font pas de chichis et copient les États-Unis sans problème, sans chercher à imposer un autre modèle plus efficace.
Barcelone, 1936. Photo : Brangulí, Archives nationales de Catalogne
Et le clavier américain a longtemps régné en Espagne : Xavier Molero, responsable du Musée d’Informatique de l’Université Polytechnique de Valence, affirme même à El Confidencial qu’importer des claviers avec une touche “Ñ” était parfois un véritable casse-tête pour les entreprises espagnoles, dans les années 1980. Elles pouvaient même être pénalisées pour ce fait.
Mais ici aussi, le clavier QWERTY n’est pas le plus adapté à la langue de Cervantes ; par exemple, les lettres fréquentes en espagnol que sont “A”, “S” et “D” sont à portée de main gauche, alors que la majorité de la population est droitière, remarque le journal.
Y a-t-il un clavier catalan ?
Puisque le clavier espagnol prend la suite logique de l’américain, le catalan n’en est pas si différent. La version catalane ajoute simplement un « Ç » comme touche à part entière, un signe qui n’existe pas en espagnol.
Le plus amusant dans cette histoire est qu’aujourd’hui, ces différences de clavier n’ont plus vraiment de sens. Rares sont ceux qui écrivent encore à la machine à écrire, et aucune tige ne risque de s’emmêler sur nos ordinateurs et smartphones…
Et ces différences ne facilitent pas non plus la tâche à ceux qui écrivent dans plusieurs langues, comme c’est le cas pour de nombreux Français à Barcelone. À tel point que le fait de remplacer les “A” par des “Q”, et les “M” par des “Ñ” est devenu une marque de fabrique bleu-blanc-rouge.
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