Le chemsex à Barcelone: sexe, drogues et solitude

chemsex barcelone

Bien que de plus en plus connu du grand public, le chemsex reste une pratique sexuelle stigmatisée et mal comprise, qui a pour risque d’enfermer ses adeptes dans une grande solitude, en plus des drogues et des IST.

On entend souvent dire que Barcelone est un “paradis” pour la communauté LGBT+, car elle y est bien plus présente et acceptée que dans d’autres villes espagnoles. Et si cela se traduit par des drapeaux arc-en-ciel visibles sur certains balcons et par des bars et établissements ouvertement “LGBT-friendly”, il y a aussi l’autre côté du tableau, un peu plus sombre.

Depuis une dizaine d’années, un phénomène a fait son apparition dans la société européenne, et particulièrement chez la communauté LGBT+ : le chemsex, abréviation anglaise qui signifie “drogue-sexe”. La pratique en elle-même ? Des personnes, de manière générale des hommes, se réunissent et prennent de la drogue pour avoir des rapports sexuels entre eux très prolongés, pouvant aller jusqu’à une durée de 72 heures. Le but de la pratique, aussi appelée “PnP” (“Party’n’Play”) ou encore “colocón” en Espagne, est bien sûr de prendre du plaisir sur une très longue durée et ce sans se préoccuper, grâce aux effets désinhibants des drogues, en même temps qu’elles prolongent les érections et le désir par exemple.

Le phénomène grandit, depuis plusieurs années en Europe. Un peu plus de 14 % des hommes ayant eu des rapports avec des hommes dans les 12 derniers mois disaient avoir consommé de la drogue afin que le rapport soit plus intense ou plus long, selon une étude européenne de 2017. Et l’Espagne n’est pas en reste, puisque Madrid et Barcelone, connues pour leur grande communauté LGBT+, sont les villes où se concentrent la majorité des chemsexs en Espagne, devant d’autres villes comme Malaga ou Valence.

chemsex barceloneOrgull LGBT+ de Barcelone, 2018. Photo : Ajuntament Barcelona

Les drogues utilisées lors de ces rencontres varient, allant de la cocaïne au “poppers” (nitrine d’amyle) en passant par l’ecstasy, le viagra… Mais à Barcelone, depuis 2015, la méthamphétamine a fait son entrée et préoccupe les associations, car elle est bien plus addictive que la cocaïne. On la prend aussi couplée au GHB, à la kétamine, au “speed” (amphétamine)… Alors qu’à Madrid par exemple, les habitudes sont plutôt à la méphédrone, selon l’association Barcelona Check Point.

Une pratique dangereuse… et stigmatisée

À première vue, le chemsex paraît excessivement dangereux : d’un côté le risque d’avoir des rapports sans protection et contracter des infections dont le VIH, un risque bien réel selon certaines études, mais aussi le risque de surdose de drogue, voire d’addiction destructrice quand la consommation est fréquente. Et ce sont surtout ces risques qui ont été identifiés par les médias et le grand public, lorsque le chemsex a commencé à se faire connaître, il y a quelques années. “Le problème, c’est que les médias ont expliqué le sujet en disant que ‘c’est ce que font les gays, ils se droguent et ils ont des rapports sans protection’, mais il faut aller plus loin et voir les causes de l’apparition du chemsex”, affirme Toni Gata, psychologue à Barcelona Check Point. Le centre communautaire accompagne les personnes LGBT+, et notamment les pratiquants de chemsex, avec de la prévention contre les infections et un suivi psychologique.

Pour les associations, le chemsex est en grande partie le résultat d’une stigmatisation de la communauté LGBT+, précisément du poids du patriarcat sur les épaules des hommes LGBT+, et de manquements dans l’éducation sexuelle des jeunes. “Nous voyons toutes ces carences en matière d’éducation sexuelle”, explique Luís Villegas, coordinateur du service dédié au chemsex de l’ONG Stop Sida à Barcelone. “Tout le monde n’a pas eu une éducation sexuelle libérée, et la lgbtphobie isole beaucoup les membres de la communauté, en plus du patriarcat qui impose son modèle de ce que doit être et faire un homme.” D’où, d’ailleurs, le fait que le chemsex implique en majorité des hommes.

Un isolement et une mauvaise compréhension des LGBT+ par la société, en plus de la peur de contracter le VIH qui a traumatisé toute une génération, qui finissent par faire penser à certains qu’ils ne peuvent prendre du plaisir librement qu’en prenant de la drogue. “Le risque principal, c’est que quelqu’un qui pratique le chemsex finisse par penser que c’est la seule manière d’avoir du plaisir. Cela peut mener à ne plus voir sa famille ou ses amis, arriver en retard au travail ou être moins efficace et au final perdre son emploi… et on substitue son réseau social par un autre, mais où les relations sont artificielles, seulement basées sur la consommation de drogue, ce qui mène à une grande solitude.”

Le chemsex, pas seulement un problème de drogues

Le problème est donc d’autant plus difficile à traiter : il faut tenir en compte la consommation de drogues, les risques d’infections sexuellement transmissibles, et la santé mentale. “Environ 17 % des hommes que nous avons suivis à Barcelone ont confié avoir eu des pensées suicidaires, et dans 36 % des cas on a détecté un problème de santé mentale, surtout des angoisses et des dépressions”, affirme Toni Gata. Un phénomène complexe à appréhender, et face auquel le personnel sanitaire est mal préparé, selon les associations. “Il ne s’agit pas seulement de consommation de drogues mais aussi de psychologie et de sexualité, il faut connaître la culture LGBT+ pour comprendre et conseiller sans juger.

chemsex barceloneOrgull LGBT+ de Barcelone, 2018. Photo : Ajuntament Barcelona

Les autorités catalanes ont encore des devoirs à faire sur le sujet, mais les associations reconnaissent une certaine avancée : “l’intention politique est là, en Catalogne, et il y a beaucoup de sensibilisation dans les associations et parmi le personnel médical, mais il manque encore des investissements et des formations spécifiques sur le sujet”, pour le psychologue. Et l’enjeu prend de l’envergure, car le chemsex est de plus en plus connu par la population.

Une pratique en augmentation, à Barcelone ?

La sexualité est toujours plus libre, et de plus en plus de personnes tendent à prendre du plaisir de manière beaucoup plus ouverte, donc je pense qu’on est encore loin de la fin du chemsex, en s’étendant au-delà de la communauté LGBT+”, opine Luís Villegas. Par ailleurs, la pratique du chemsex semble s’être envolée durant les confinements de ces dernières années, qui avaient renforcé la solitude et les problèmes psychologiques de certains.

Pour les associations qui suivent et étudient le phénomène, il s’agit surtout de permettre que tous puissent vivre leur sexualité librement, sans nécessairement prendre de la drogue pour se sentir bien, et ne pas prendre trop de risques pour sa santé mentale comme physique. En soi, vivre sa sexualité sainement et librement, ce que la ville de Barcelone clame depuis longtemps, comme “paradis” de la communauté LGBT+.

Pour plus d’infos et des conseils sur le sujet, rendez-vous sur les sites des associations de Barcelone Stop Sida ici ou Barcelona Check Point ici.

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