Ce n’est pas Alien, mais presque. Le poisson ballon est un organisme parfait, sans prédateur et terriblement toxique pour l’environnement et l’humain. Et il s’approche de plus en plus des côtes catalanes.
Photo : Athanassios Stock
Caché sous ses airs gonflés et ses nageoires inoffensives, le Lagocephalus sceleratus, littéralement « tête de lièvre maudite », s’impose discrètement comme l’une des menaces les plus sérieuses pour les écosystèmes marins d’Espagne. Apparue dans les eaux méditerranéennes via le canal de Suez en 2003, cette espèce toxique originaire de l’océan Indien a rapidement conquis les côtes grecques, turques, puis nord-africaines avant de gagner les eaux espagnoles dans les années 2010. Et depuis, elle dévore tout, figurant même sur la « Liste noire des espèces envahissantes dans le milieu marin » de Méditerranée de l’UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature).
Crustacés, mollusques, poissons, calamars : rien ne résiste à ses mâchoires puissantes. Le poisson ballon est une espèce invasive qui se nourrit sans relâche de la faune locale. Et le plus inquiétant, c’est qu’il n’a aucun prédateur naturel. Face aux autres animaux, il se gonfle, rendant son ingestion impossible. Face aux humains, il a un bouclier plutôt efficace : une toxine mortelle, la tétrodotoxine, concentrée dans ses organes internes. Moins d’un milligramme suffit à tuer un adulte, et aucun antidote n’existe à ce jour.
Côté humain, les conséquences sont par ailleurs déjà tangibles. Depuis 2014, vingt-huit cas de morsures ont été enregistrés dans la zone orientale de la Méditerranée, dont plusieurs amputations. Et si sa chair n’est pas consommée en Espagne, des cas d’intoxications mortelles sont survenus dans des pays riverains comme le Liban, où la confusion avec d’autres espèces comestibles a été fatale. Sa ressemblance avec des poissons familiers le rend d’autant plus dangereux.
Comment enrayer le problème ?
Pour les pêcheurs, c’est l’hécatombe. Le sceleratus détruit les filets et les hameçons et rend les prises inutilisables. Déjà fragilisée par la surpêche, la pollution agricole et la pêche industrielle, la Méditerranée espagnole doit désormais affronter un nouvel ennemi qui précipite l’effondrement de ses ressources. L’Espagne, encore peu mobilisée, regarde le phénomène se rapprocher sans plan clair. Pourtant, la Turquie ou Chypre ont lancé des campagnes de prime à la capture, avec des résultats mitigés : des dizaines de tonnes éliminées, sans baisse notable de la population.
Alors que faire ? Certains scientifiques parient sur la valorisation commerciale du poison : la tétrodotoxine, testée en laboratoire, pourrait devenir un puissant analgésique non addictif ou un traitement expérimental contre le cancer. D’autres explorent la transformation de sa peau en cuir ou l’exploitation de ses dents pour la fabrication de prothèses dentaires. Mais ces pistes, encore à l’état embryonnaire, ne résolvent rien à court terme.
La Méditerranée espagnole se trouve face à une urgence invisible. Jusqu’ici, le danger n’a été capté qu’au large des îles Canaries, mais la Catalogne n’est pas si loin. Affaire à suivre.