Sous le soleil de Barcelone, l’été n’a rien d’une parenthèse légère pour tout le monde. Entre regards insistants et normes véhiculées par les réseaux, l’épreuve du maillot vire parfois au malaise.
Photos : Clémentine Laurent
« Commencez dès maintenant à travailler votre summer body avec notre programme de remise à niveau ! », « À la recherche du bronzage parfait ? Essayez notre nouvelle gamme de produits auto-bronzants. » Voilà un échantillon des pubs que l’on peut voir fleurir sur les réseaux sociaux depuis quelques semaines maintenant. On le sent poindre depuis un bout de temps, l’été arrive. Son soleil, ses plages mais aussi sa pression esthétique, intimant à tout le monde – majoritairement aux femmes – d’être prêt.
Mais prêt à quoi, exactement ? « Au jugement des autres », répond Anna, 27 ans et Barcelonaise d’adoption depuis une dizaine d’années. Pour elle, c’est clair, Barcelone a une façon unique d’imposer ses normes : « Evidemment que j’y pense. À partir de mars-avril, je commence à être plus consciente de tout ça et à me dire qu’il faut que je me bouge car je vais bientôt être exposée au regard des autres, sur la plage notamment. »
Mais cette pression esthétique n’est pas inhérente à l’été ni aux villes balnéaires, explique Meritxell Benedí Altés, historienne et activiste féministe : « L’été est une saison où la pression est très visible, mais c’est toute l’année. La pression esthétique est une injonction systémique, une forme de violence symbolique exercée par le patriarcat. C’est une manière de contrôler le corps des femmes. » Alors on leur impose d’être rasée, d’être mince, d’avoir une belle peau, des cheveux lisses…
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Un idéal très enraciné et particulièrement vrai à Barcelone, « une ville sportive qui te met la pression pour être en forme physiquement », continue Anna. Et ce stress a pour conséquences une détresse mentale voire des problèmes de santé.
En Espagne, 400 000 personnes souffrent de troubles alimentaires, et 9 malades sur 10 sont des femmes. Un constat alarmant qui a poussé le gouvernement catalan à créer un Plan pour combattre la pression esthétique en 2023, impulsé par l’Institut des femmes catalanes, présidé justement (jusqu’à l’année dernière) par Meritxell.
Avec plus de 10 millions d’euros investi, le programme (qui dure jusqu’en 2026) est le premier au monde à prendre action sur le sujet. Concrètement, « c’est un plan de politique publique impliquant une soixantaine d’actions », explique Meritxell, « dans lequel on coopère avec de nombreuses organisations publiques et privées. Par exemple, pour changer les modes de représentation, nous travaillions avec la fashion week de Barcelone, 080, pour accueillir des corps moins normés dans le monde de la mode. On a aussi collaboré avec le ministère du sport pour que les professionnels du secteur poussent dans le sens d’une activité physique bonne pour la santé et non centrée sur une perte de poids ».
Le poids des réseaux
Si les femmes sont les premières concernées, le phénomène touche aussi d’autres couches de la population. David, 47 ans et habitant de Sant Antoni depuis 3 ans en est témoin, « le summer body à la Barceloneta c’est obligé, et en soirée aussi : il faut se mettre torse nu et faire face au jugement des autres ».
Une exigence sociale qui l’a poussé vers le sport, davantage par contrainte que par envie. Pour Anna aussi, la standards de beauté sont parfois pesants, raconte celle qui habite dans l’Eixample : « Je sais que je me compare beaucoup et je peux appréhender le fait de se dénuder. »
Même son de cloche pour David, qui, outre certains commentaires du quotidien, accuse les réseaux sociaux. Et Meritxell d’acquiescer : « Cette injonction systémique est présente dans notre quotidien, dont les réseaux font partie. Ce qu’il faudrait faire, c’est créer des normes espagnoles, voire européennes. La régulation sur le sujet est plus que nécessaire. » En attendant des mesures, il appartient à chacun et chacune d’enrayer cette violence systémique, pour permettre une plage – et l’ensemble de l’espace public – libre de tout jugement esthétique.