Sur le papier, les Espagnols lisent moins que les Français. Mais à y regarder de plus près, les deux pays se débattent avec les mêmes contradictions : des jeunes lecteurs à reconquérir, des femmes qui portent la pratique, et une lecture de plus en plus morcelée, concurrencée par les écrans.
Photo : Clémentine Laurent
“Une heure de lecture est le souverain remède contre les dégoûts de la vie”, disait Montesquieu. En voilà un qui n’avait pas encore accès aux écrans : c’est en effet, le grand fléau des deux côtés des Pyrénées selon les dernières enquêtes publiées. En Espagne, le dernier baromètre du ministère de la Culture annonce tout de même un taux record : 51,2 % des habitants lisent régulièrement. En France, selon l’étude du Centre national du livre, ils sont 56 %. Une différence qui tient à la culture du livre en elle-même, car les deux études montrent la même chose : lire reste une habitude installée, mais fragilisée.
De l’Ebre à la Loire, la première barrière à la lecture est la même : le manque de temps. Ou plutôt, la sensation de manquer de temps. Quand ce n’est pas le travail, ce sont les réseaux sociaux, les séries, ou juste l’épuisement du quotidien qui relèguent les livres sur la table de nuit.
Les jeunes, en particulier, sont au cœur des inquiétudes. En Espagne comme en France, ils lisent moins souvent que leurs aînés. En France, presqu’un quart des 15-24 ans dit n’avoir lu aucun livre cette année, mais la bande dessinée et les mangas explosent sur cette tranche d’âge. Même tendance aux solutions alternatives en Espagne, où les jeunes sont surreprésentés parmi les utilisateurs d’audiolivres ou d’e-books. Alors, les jeunes lisent-ils moins… ou autrement ? Car si les formats changent, le goût des histoires, lui, reste vivace. Ce sont les jeunes, évidemment, qui alimentent la vitalité des clubs de lecture sur Instagram ou TikTok via booktok, l’espace dédié aux grands lecteurs de la plateforme.
Les femmes toujours les plus grandes lectrices
Autre point commun : ce sont les femmes qui tiennent le livre à bout de bras. Dans les deux pays, elles lisent plus que les hommes, tous âges confondus. Une tendance ancienne, qui s’accentue. En Espagne, on parle d’un écart de près de 13 points ; en France, la moitié des gros lecteurs sont des lectrices.
Photo : Cyane Morel
En ce qui concerne les réactions face à ces études, les deux pays ont eu des réactions bien différentes. De son côté, le ministre de la culture espagnol Ernest Urtasun s’en prend au travail en promouvant la réduction de la journée de travail comme « quelque chose qui nous donne aussi l’occasion de gagner du temps pour la lecture ».
Le CNL, lui, tape sur les écrans : « Alors que, concernant la pratique de la lecture, tous les indicateurs sont au rouge et révèlent, a contrario, combien les écrans phagocytent notre vie, seules des actions claires et volontaristes peuvent contribuer à la préservation d’un temps, pour chacun, propice au livre et à la lecture et donc au calme, à la réflexion, aux récits qui s’apprécient sur le temps long ». En gros, « écoutez Montesquieu et lisez un peu plus ».