À Barcelone, quand les expats disent stop au travail

Le phénomène de la mini-retraite prend de l’ampleur un peu partout dans notre monde moderne, y compris à Barcelone. À une époque où le stress du travail et le burn-out font des ravages, certains jeunes professionnels choisissent ainsi de marquer un temps d’arrêt dans leur carrière.

(Crédit photo : Equinox)

Faire une pause pour mieux repartir.

À Barcelone, de plus en plus d’actifs — jeunes, qualifiés, souvent désabusés par le rythme effréné du monde du travail — choisissent de lever le pied. Quitter leur poste, refuser un nouveau contrat, s’autoriser à ne rien faire… ou plutôt à tout repenser.

Ils ne voyagent pas forcément. Ils restent ici, dans la ville, et prennent un temps pour eux : pour souffler, pour se recentrer, pour explorer d’autres voies.

On appelle ça une mini-retraite : une parenthèse volontaire de quelques mois, entre deux vies professionnelles, qui devient parfois un vrai tournant. Un concept qui a été popularisé par l’auteur américain Tim Ferriss dans les années 2000. Il propose de répartir les temps de repos tout au long de la vie professionnelle, plutôt que de tout remettre à l’âge de la retraite.

« J’ai travaillé sans interruption depuis mes 18 ans »

Ce mouvement discret, mais croissant, en dit long sur un certain rapport au travail, à la réussite, au burn-out, et à ce que l’on attend vraiment de la vie. Et Barcelone, ville de contrastes au bord de la Méditerranée, en est le théâtre idéal.

Peter* est expatrié à Barcelone depuis huit ans. L’histoire de mini-retraite de ce Polonais d’une trentaine d’année commence par une accumulation. Une carrière dans le test logiciel entamée à 18 ans, une montée en compétences rapide, un burn-out… et un jour, une décision radicale. « Après 3 ou 4 ans d’une carrière très rapide, j’ai rejoint une entreprise qui m’avait promis de m’apprendre la programmation. Mais la personne censée me former a quitté l’entreprise juste après mon arrivée », nous explique-t-il.

Alors Peter apprend seul. Il évolue vers l’automatisation des tests, gravit les échelons, enchaîne les projets, puis intègre une entreprise de services qui l’envoie en mission chez divers clients. Il voit dans ce fonctionnement une opportunité d’apprentissage et de variété. Mais l’enthousiasme ne dure pas.

« J’ai passé six ans dans cette boîte, et la plupart de ce temps a été horrible. » Il raconte une prise de conscience brutale : travailler pour un client, c’est renoncer à toute visibilité sur sa progression. Pas d’évaluation. Pas de reconnaissance. Pas d’augmentation. « Au bout de trois ou quatre ans, j’ai sombré dans une forme de dépression. Je faisais des crises d’anxiété. J’ai même développé un syndrome de l’intestin irritable. »

Et puis, il y a la lassitude. L’impression d’un effort à sens unique. « Ils demandaient toujours plus, sans jamais rien donner en retour. »

Une vraie pause carrière pour respirer

Pendant longtemps, il garde toutefois espoir. « Pendant deux ou trois ans, j’ai cru que l’augmentation allait arriver, qu’elle était juste là, au coin de la rue. » Et quand il cesse d’y croire, il reste malgré tout. Pour ne pas « gâcher » les années passées dans l’entreprise. Il glisse alors doucement dans ce qu’il appelle lui-même un « silent quitting » (démission silencieuse). Et quand son fils naît, il prend tous les congés auxquels il a droit. Sa dernière année dans la boîte ? Le strict minimum. Mais des discussions franches avec ses supérieurs. Un jour, l’entreprise l’invite à discuter avec les RH. Elle lui propose de partir… avec une indemnité équivalente à une année de salaire. « J’ai accepté. Et je l’ai pris comme une victoire personnelle. »

Il vient de passer la trentaine et n’envisage alors pas de retour au travail. Pas tout de suite. Avec sa compagne, il décide de faire une vraie pause. Pas de grands voyages, pas de dépenses inutiles. Il coupe dans ses coûts et découvre une nouvelle forme de quotidien.

Enfants famille promener rue barcelone marcher Photo Mariona Gil Ajuntament

« J’étais un peu un homme au foyer. Et j’ai adoré ça. M’occuper de la maison, du bébé, essayer de rendre la vie plus facile à tout le monde. » Un an de répit, pas plus. Car au bout de quelques mois, il recommence à chercher un emploi. Les offres sont rares, beaucoup sont fausses, selon lui. Mais au bout de trois mois, il décroche un nouveau poste. Aujourd’hui, il dit aller bien. Sa mini-retraite y est pour beaucoup.

« Je suis content de retravailler, content d’être de retour au bureau. C’est ce qu’il me fallait. J’ai travaillé trop longtemps, sans pause, depuis mes 18 ans. Faire un break, ce n’était pas une mauvaise décision », conclut-il.

La mini-retraite, une tendance qui a aussi ses risques

Artiste et neuroatypique, Sara, une Camerounaise de 38 ans qui a vécu 20 ans en France, a aussi décidé de faire une pause après avoir été licenciée en janvier dernier… d’un emploi qu’elle comptait de toute façon quitter. « J’avais besoin de me recentrer, de prendre soin de moi mentalement, et de revenir à ce que j’aime vraiment. »

Depuis, elle a laissé derrière elle les contraintes du monde de l’entreprise — ce « monde des Moldus » comme elle l’appelle avec humour — pour s’offrir un espace de respiration. « Cette pause me fait tellement de bien que je n’ai plus du tout envie de revenir dans le monde corporate. » Elle commence à peine à envisager un retour sur le marché du travail — à son rythme, sans précipitation.

Mais toutes les pauses carrière ne se valent pas. Originaire d’Inde, Ekta vit aujourd’hui à Barcelone, mais son histoire de mini-retraite s’est jouée bien plus tôt, dans son pays, où elle travaillait dans l’informatique. « J’avais décidé de faire une pause. Mais la vie ne suit jamais vraiment le plan qu’on avait prévu. »

Ce break, qui devait être temporaire, a fini par marquer un tournant inattendu. « J’ai perdu ma carrière. » Son récit est différent. Elle parle de ce moment où tout bascule, quand une pause, même bien intentionnée, ne mène pas toujours vers un renouveau professionnel. « Je suis passée de professionnelle de l’informatique à la gestion d’un foyer et d’une cuisine », nous indique cette trentenaire désabusée. Car dans un environnement ultraconcurrentiel, Ekta ne retrouve pas de poste.

Avec beaucoup de lucidité, elle rappelle que les micro-retraites, si elles sont parfois salutaires, peuvent aussi refermer des portes. « Toutes les pauses ne permettent pas de rebondir avec une nouvelle énergie. Les courtes pauses ruinent parfois une carrière », prévient-elle. À bon entendeur.

 

*nom d’emprunt

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