Weimar à Barcelone : l’exposition qui questionne nos certitudes

La CaixaForum de Barcelone met en avant tout l’été un morceau de l’Histoire souvent survolé : l’Allemagne d’entre-deux-guerres. Une époque bouillonnante de découvertes scientifiques, de philosophies inédites et de pratiques artistiques avant-gardistes, durant laquelle résonnait à toute heure le son de l’incertitude.

Photos : Caixaforum 

« Incertitude :  Caractère de ce qui est incertain, douteux ou imprévisible. «  À la CaixaForum de Barcelone, du 2 avril au 20 juillet, les temps de l’incertitude sont venus. Mais pas n’importe lesquels. On présente ici des années pour le moins étranges : l’époque de la République de Weimar en Allemagne, entre 1913 et 1933. Grâce à de nombreuses archives vidéos, photographiques et de belles explications, l’exposition « Temps incertains – L’Allemagne entre-deux-guerres » réussit le pari d’être à la fois pédagogique et passionnante.

L’histoire commence au sortir de la grande guerre. L’Europe, jusqu’ici pleine de certitudes, se retrouve meurtrie et morcelée. Pour l’Allemagne, la grande perdante endettée et endeuillée, une nouvelle ère faite d’instabilités politiques, de progrès technologiques et scientifiques et d’une folle créativité artistique s’ouvre. Et c’est tout ceci que raconte la grande exposition de la CaixaForum, faisable en 1h30.

Le spectacle muséal s’ouvre sur une sorte de salle de bal, posant le décor d’une Allemagne classique, sur le point d’exploser. En continuant, nous arrivons à une frise chronologique à faire pâlir les profs d’histoire : pour bien comprendre ce qu’est la République de Weimar, il faut appréhender son avant et son après. Et une fois le cours d’histoire terminé, nous voilà à la découverte des idées de l’époque.

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Nous plongeons alors tête baissée dans les magnifiques clichés du renommé August Sander, pionnier de la photographie documentaire. Ses photos de travailleurs allemands nous parlent d’un art plus que jamais politisé. Les artistes de l’Allemagne entre-deux guerres étaient (presque) tous orientés à gauche, partisans socialistes voire communistes, s’intéressant dans leur pratique aux questions des masses et de l’individualité.

Un thème d’ailleurs particulièrement exploré dans le 7e art. Les films comme Metropolis (1927) de Fritz Lang se penchent justement sur la dissolution de l’individu dans la masse, qui mènera par la suite à la dictature hitlérienne, qui utilisait beaucoup les foules et leur puissance pour asseoir sa domination.

Equinox Barcelone Caixaforum

L’art de cette époque se concentre surtout autour des notions de liberté et d’égalité. Égalité entre les sexes et liberté pour tous : à l’époque déjà, beaucoup d’artistes jouaient avec les codes esthétiques du genre et on documentait énormément la vie de la communauté LGBTQI+. De la République de Weimar, on se rappelle aussi et surtout de la neue frau, cette « nouvelle femme » libre, qui s’habille comme un garçon et fait ce qu’elle a envie de faire.

Dans les années folles, avant le krach boursier de 1929, les élites bourgeoises vivent une vie nocturne extraordinaire et faste. De l’autre côté de la société, les ouvriers sont de plus en plus nombreux et le monde de l’usine se développe. On voit alors l’arrivée des artistes constructivistes jusqu’à la création de la Bauhaus, cette école d’art qui reste aujourd’hui encore l’héritage le plus flamboyant de cette époque.

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Incertitudes et doutes existentiels

Mais assez parlé d’art. Là où l’exposition se démarque et d’où elle tire son titre, c’est la présentation de la vie intellectuelle foisonnante. Philosophie avec Heidegger contre Cassirer, science avec Einstein, expérimentations théâtrales et sonores avec Wagner et Bertolt Brecht et littérature avec La Montagne magique de Thomas Mann… L’Allemagne traverse une vraie crise de la raison : tout n’est qu’incertitude. Et c’est contre cette incertitude qu’Hitler et ses certitudes viendront s’imposer, répondant au doute existentiel des Allemands. C’est là que l’exposition se termine, montrant les vidéos des nazis brûlant des livres à Berlin, sous les mots du Dr Goebbels…

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Mais le musée nous réserve une dernière surprise. L’avenir est incertain, soit. Mais n’est-ce pas justement là le but de l’existence et son sel même ? Ce qui nous sauve de l’obscurantisme ? La dernière salle nous invite à exercer notre droit au doute et à questionner nos certitudes à l’aide d’un dispositif de vote. « L’amour est-il pour toujours ? », « Les certitudes sont-elles nécessaires ? », « Choisit-on sa famille ? », « Chanter avec de l’auto-tune, est-ce chanter quand même ? »

Voilà quelques-unes des questions auxquelles il nous est permis de répondre en indiquant notre tranche d’âge. On peut ensuite voir le résultat de l’autre côté de la salle. Un exercice profondément réflexif et qui permet après ce long parcours d’apprentissage de mettre en pratique ce que l’on a retenu. Que vive l’incertitude !

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