La communication à Barcelone est parfois un jeu d’équilibriste dans lequel on jongle avec trois langues, et où le moindre faux-pas vous conduira à l’issue fatale d’une pique assassine. Car derrière les façades Art Nouveau et les terrasses bondées, où fusent les rires, la petite phrase mordante, pour ne pas dire expatophobe, evous attend souvent au tournant.
Photo : Ajuntament de Barcelona
Et, comme, on aimerait tous avoir un souffleur pour nous glisser la parfaite pirouette linguistique au creux de l’oreille, voici un petit manuel de parades à destination des expats débarqués ou déjà désabusés, pour répondre à la passive-agressivité locale avec panache et élégance.
« Tu ne parles toujours pas catalan ? »
Lâchée sur le ton de l’étonnement, ce grand classique est souvent un réquisitoire à peine voilé. Ici deux parades sont possibles. Les polyglottes aguerris pourront énumérer avec un petit sourire modeste la liste d’idiomes qu’ils maîtrisent : « non, mais je parle français, portugais, anglais et espagnol. Et toi ? »
La surprise de l’interlocuteur devrait faire diversion, on passe alors pour un globe-trotter multilingue, pas juste pour un expat paresseux.
Une option encore plus désarmante constituerait à lancer « pas encore mais tu pourrais m’apprendre ! » Cela vous vaudra peut-être un cours improvisé ou, plus probablement, un changement de sujet.
« Tu comptes rester combien de temps ? »
C’est la version soft du « rentre chez toi ». Et selon votre degré de tolérance à l’indiscrétion, un simple « T’es de la police ? » devrait clore la conversation.
Les moins radicaux pourront aussi se lancer dans des considérations métaphysiques pour brouiller les pistes. « Qu’est-ce que le temps qu’une notion subjective qui régit nos existences par sa logique arbitraire ? » Ajoutez un regard vague vers l’horizon, et le malaise fera le reste.
« Combien tu paies ton loyer ? »
La question qui tue, posée par celui qui veut juste « comparer ». Comprendre : déterminer si vous êtes un affreux gentrificateur responsable de la flambée des loyers. Si vous galérez comme tout le monde à vous loger, racontez vos pires expériences avec une touche d’autodérision : « Oh, tu veux dire l’ancien local à poubelles reconverti en studio avec mezzanine et toilettes sur le palier ? Une vraie aubaine : 800 balles sans fenêtre. Un petit cocon urbain. »
Et si l’auditoire insiste, enchaînez avec aplomb : « mais c’est temporaire, en attendant que mon coloc sorte de prison et récupère sa chambre. »
« Pour les expats, le monde du travail c’est la belle vie, au mépris des locaux ! »
Ce reproche, souvent sourd, alimente un ressentiment tenace : celui de voir les étrangers décrocher les bons plans quand les locaux rament. Pourtant, la réalité professionnelle des expats est souvent moins dorée qu’il n’y paraît. Entre les contrats précaires dans les call centers, les vagues de licenciement, et les startups qui ferment plus vite qu’elles n’ouvrent, l’ambiance est plutôt à la survie qu’au privilège.
N’hésitez pas à lancer : « Oui enfin, entre la restructuration, le rachat, le downsizing et la boîte qui a préféré une IA à moi, je dirais que la belle vie a duré environ 6 semaines. Mais elles étaient chouettes. »
Et pour enfoncer le clou, vous pouvez lancer : « D’ailleurs, est-ce-qu’ils recrutent dans ton entreprise ? »
« Ici c’est pas comme en France, hein ? »
Le petit pic identitaire, souvent glissé dans une conversation anodine. Traduction : tu vas devoir t’adapter, et plus vite que ça. Dans ce cas, mieux vaut répondre par la connivence ironique que par la confrontation. « Ah bon ? Mince, j’avais rien remarqué, à part le soleil, la mer, les horaires, l’urbanisme, la bouffe… »
Sinon, jouez la carte de l’humour à la française, façon râleur patenté : « Oui, je sais, ici les gens sont sympas et polis. C’est perturbant. »