Comment les réseaux ont romantisé la panne en Espagne (et pourquoi c’est agaçant)

Equinox laisse régulièrement ses colonnes à une personnalité francophone de Barcelone ou à un membre de la rédaction pour une tribune libre. Et c’est Lucille Souron, journaliste culture et société au sein de la rédaction qui prend la plume cette semaine. 

Photo : Equinox

Plus de réseau, plus de 4G, plus de téléphone : le vide. Sur les réseaux sociaux, ce vide engendré par la panne électrique du 28 avril 2025 a vite été comblé par une pluie de vidéos enchantées. On y voit des voisins danser ensemble sur les places ensoleillées de Gràcia, des inconnus qui se parlent, des bars pleins, des sourires… Bref, un monde meilleur. Sans écrans. Sans technologie. Comme « au bon vieux temps ».

Problème, ce récit édulcoré efface les conséquences concrètes de cette panne : des hôpitaux désorganisés, des gens bloqués dans les transports, des urgences sans communication, des vies en suspens. Idéaliser un dysfonctionnement majeur de l’infrastructure électrique ibérique revient à faire passer une vraie vulnérabilité pour un instant de grâce collective. Ce n’était pas une pause méditative, c’était un bug géant : (presque) sans victimes, certes, mais pas sans risque.

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D’autre part, et c’est là le plus malheureux, quand on lit des vidéos titrées « Pas de portables, pas de réseaux… juste des gens qui s’amusent comme au bon vieux temps », ne ressent-on pas un peu de tristesse ? Faut-il donc que l’on supprime une des plus grandes inventions du XXe siècle pour que les gens « profitent » ensemble ?

@ceciarmySin móviles, sin redes… solo gente disfrutando como en los viejos tiempos♬ sonido original – Ceciarmy

À ce genre de contenu, beaucoup d’internautes répondent par leur désir de supprimer le téléphone portable. C’est donc que notre usage de la technologie est allé trop loin.  Tout comme le Covid nous avait rappelé au plaisir du travail manuel – et lancé la fameuse vague de pains maison – l’apagón de 2025 a sonné le début d’une utopie low-tech. Mais est-on vraiment sûrs que ce sont les téléphones qui ont séparé les humains ? Et pas l’humain lui-même, passionné par son téléphone ?

Alors oui, c’est bien que les Espagnols soient restés positifs face à la grande panne. Et on applaudit ces moments simples, sans le grand méchant écran. Mais justement : la beauté de ces moments, c’est qu’ils n’ont pas besoin d’être filmés, édités, sonorisés et postés.

Peut-être que le vrai message de cette panne, c’est celui-là : on n’a pas toujours besoin de filmer pour que ça compte.

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