Un voleur neutralisé par un touriste à Barcelone : où s’arrête la légitime défense ?

Alors qu’il était en pleine séance photo avec des mariés, un photographe chinois a été agressé par trois hommes. Il a neutralisé un des voleurs à mains nues, sous les applaudissements des passants. Au-delà du geste spectaculaire, cet acte relève-t-il de la légitime défense ? Un avocat pénaliste nous éclaire.

Photo: Equinox

Il ne manquait que la bande-son de Kill Bill. Place de la Cathédrale, mardi 29 avril à 11 heures, un photographe professionnel chinois s’accorde une pause sur un banc, au milieu d’une séance photo pour un couple de jeunes mariés. Quelques instants plus tard, la scène vire au thriller urbain.

Trois hommes — d’origine arabe selon les témoins — l’approchent. L’un s’installe à côté de lui, l’assaille de questions, tandis qu’un complice guette et qu’un troisième surgit pour lui arracher violemment son appareil photo, estimé à plus de 5.000 euros. Mais le trio ne s’attendait sans doute pas à tomber sur un photographe et son assistant qui avaient sous la manche quelques réflexes bien rodés de self-défense.

Sonné mais pas désarmé, le professionnel réagit. Il attrape l’un des assaillants et le plaque au sol en lui bloquant le cou avec le bras, façon clé de soumission. Un geste net, précis — filmé par un passant — qui déclenche les applaudissements de la foule et l’admiration des touristes présents. Quelques secondes plus tard, trois mossos d’esquadra à moto de la brigade Guilla surgissent et procèdent à l’arrestation. Le suspect, âgé de 27 ans, a déjà neuf antécédents judiciaires.

 

Sur les réseaux sociaux, ce ressortissant chinois est acclamé comme un héros. Qu’on se l’avoue : il a concrétisé ce qu’on a tous fantasmé après avoir été victime d’un vol : se faire justice soi-même. Ou en attendant la police, en tout cas. Mais ce coup de poing dans l’air relève-t-il vraiment de la légitime défense ? Pas si simple.

« Dans ce cas précis, on ne parlerait pas de légitime défense à proprement parler, mais d’une détention citoyenne, une figure légale prévue à l’article 490 de la Ley de Enjuiciamiento Criminal », éclaire Jaume Agustí García, avocat pénaliste et associé directeur du cabinet Lealta Abogados. « La loi autorise tout citoyen à retenir une personne surprise en flagrant délit, dans l’attente de l’intervention de la police. »

Mais ce droit a ses limites : « La clé, c’est de ne pas avoir recours à une violence excessive ou inutile. Un usage disproportionné de la force peut entraîner des conséquences pénales pour la personne qui intervient, même si elle agit dans l’intention de collaborer avec la justice. »

Proportionnalité, le mot-clé

La notion de proportionnalité est centrale. Et ce n’est pas celui qui agit qui en décide, mais le juge, après coup. « Ce que l’on évalue, c’est si la réaction était nécessaire et adaptée à la situation. Le juge tient compte de nombreux éléments : la gravité de l’infraction, les moyens employés pour y répondre, la durée de l’intervention, et surtout ses conséquences. »

Et si l’agresseur finit blessé ? Le médecin Manuel Viso explique à Antena3 que la technique utilisée par ce – désormais fameux – photographe chinois est une forme d’étranglement consistant à maintenir la personne avec un bras : l’avant-bras vient comprimer la carotide gauche, tandis que le biceps exerce une pression sur la carotide droite. L’objectif est de réduire l’irrigation du cerveau et l’oxygénation cérébrale. Si la prise dure plus de 6 à 8 secondes, cela provoque une perte de connaissance transitoire — comme ce fut le cas pour ce voleur.

« Si on serre trop fort, on risque de comprimer la trachée par l’avant, ce qui entraîne des difficultés respiratoires pouvant provoquer un caillot, un AVC ou des lésions cervicales », prévient le médecin au média espagnol. Alors, en cas de lésion, on fait quoi ?

« Il est possible de parler de légitime défense même si l’agresseur finit par être blessé », poursuit l’avocat. « Mais à condition de prouver que cette blessure était nécessaire pour éviter un dommage plus grave. En revanche, si la force utilisée est jugée excessive, la personne qui s’est défendue peut être poursuivie pour blessures — voire pour homicide, en cas de décès. » Ceux qui chercheront à se faire justice eux-mêmes sont prévenus.

En attendant, on se console avec des statistiques encourageantes : le nombre de vols dans la capitale catalane a diminué de 6,3 % l’an dernier. Une bonne nouvelle, mais qui ne justifie pas de baisser sa garde, surtout que les voleurs préfèrent opérer sur la voie publique (41,7 %), les magasins (30,6 %) et dans les transports publics (23,3 %) pour dépouiller les passants.

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