Les émotions à nu : un voyage sensoriel et politique au cœur du CCCB de Barcelone

Le CCCB de Barcelone accueille jusqu’à l’automne une exposition chorale – faite de plus de 300 oeuvres venues des quatre coins du monde – explorant l’usage de l’émotion dans l’art, la littérature, la musique et le cinéma. 

Photo : Hertz Franks / Gerzel Franks  Par desmit minutem vecaks 1978 © VEGAP, Barcelona, 2025

Quel est le point commun entre le philosophe et historien de l’art français George Didi-Huberman, l’écrivain espagnol Federico García Lorca et le CCCB ? L’émotion, évidemment ! C’est le thème de Dans l’air ému – Images, émotions, utopie – comme toujours au CCCB, prenez au moins 2h pour la faire – qui entame là sa deuxième vie après avoir séjourné au Reina Sofía de Madrid entre novembre et mars dernier.

Le troisième étage du centre se fait donc l’écrin, petite salle alcôvée après petite salle alcôvée, de cette proposition qui, au premier abord, fait un peu peur. En effet, elle s’annonce comme l’exploitation du potentiel émotionnel des images, le tout vu par George Didi-Huberman, professeur à l’EHESS et grand spécialiste de l’iconographie (cette discipline qui analyse le langage de l’image).

En filigrane, la présence tutélaire de Federico García Lorca et de son poème Romance de la luna, luna, dans lequel il évoque l’émotion d’un enfant face à l’image de la lune. Mais est-ce bien l’image de la lune qui l’émeut ou le fait de la regarder, c’est-à-dire l’air entre elle et lui ? C’est ce qu’explore En el aire conmovido, qui davantage qu’érudite est surtout poétique.

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Qu’on ne s’inquiète pas, alors, de ne pas connaitre toutes les références littéraires, cinématographiques et artistiques exposées : avec plus de 300 oeuvres présentées, compliqué de tout reconnaitre. Dans le royaume du sentiment, le savoir n’est pas vraiment l’objectif. L’effet voulu par le parcours divisé en 7 « zones » abordant chacune un pan de l’expression de l’émotion à travers les arts est celui d’une sorte de patchwork, plutôt accessible à tous. Peut-être, d’ailleurs, ce patchwork manque t-il d’un fil solide pour relier ses différentes parties.

Penser l’émotion

Au commencement, il y a l’enfant. Clin d’oeil au poème de García Lorca mais surtout cohérence. C’est à cet âge que l’on rencontre les émotions, qu’on les apprivoise (ou pas), qu’on les ressent avec intensité. Pleurs, colère, grandes joies et grandes tristesses, l’enfance est puissante. Vidéos et photographies d’enfances de partout dans le monde – surtout tâchées par les guerres – nous accueillent.

Puis dans un second temps, vient l’intellectualisation de ces émotions, ou du moins la tentative. Ici, on rencontre les maîtres à penser Nietzsche ou Warburg, quand à leur époque on essayait de comprendre ou expliquer les émotions traversées pour mieux les maîtriser.

D’autres salles se concentrent sur le visage (berceau des émotions) et les gestes (qui les trahissent ou justement leur sont fidèles). On y trouve pêle-mêle les sculptures de Giacometti, les dessins préparatoires de Picasso pour Guernica, des vidéos et photographies autour de la danse, évidemment, l’art du geste suprême. Des clichés du danseur russe Nijinsky ou encore une des versions des Anthropométries d’Yves Klein illustrent ces concepts.

Equinox Barcelone Maspons

Photo : 89-134 © Arxiu Fotogràfic Oriol Maspons, VEGAP, Barcelona

Plus loin, on s’intéresse à l’air. Au vide qui laisse la place, dans l’art, à l’émotion. Didi-Huberman choisit de nous parler du lieu comme un « paysage que l’on respire« , qui fait donc partie intégrante de nos sentiments. Là, on retrouve Joan Miró, maître du vide maitrisé, et plus loin Fred Sandback qui avec sa corde tendue au milieu d’une salle vide vient créer une blessure dans l’espace même : y a-t-il plus grand bouleversement que d’inciser le réel avec son art ?

Equinox Barcelone Salmon

Photo : Jacqueline Salmon Cirrus, diptyque avec Constable (d’après Constable, Study of Cirrus Clouds) 2016

L’avant-dernière salle s’intéresse à l’émotion collective, autrement dit la lutte. Et cette lutte forcément politique contre toutes les formes d’oppression est éminemment liée aux émotions. Parmi les belles archives des luttes mondiales, les Ciné-tracts de Godard, Resnais et Marker qui documentent mai 68 nous émeuvent forcément un peu plus que d’autres.

Equinox Barcelone Val de Omar

Photo : José Val del Omar Misiones Pedagógicas 1933

Et pour clore à la manière d’une boucle son parcours, Didi-Huberman en revient aux enfants. « Au final, il faut tout dédicacer aux enfants. Ce n’est pas un culte de l’ingénuité, ni une croyance en la pure innocence. Les enfants sont au croisement : ils cherchent un langage entre le réel et l’imaginaire. » Ne dit-on pas que la vérité sort de la bouche des enfants ?

Jusqu’au 28 septembre. Plus d’infos et réservations.

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