Le lundi, Equinox laisse ses colonnes à une personnalité francophone à Barcelone, experte de son domaine. Cette semaine, c’est le directeur de la CCI française de Barcelone Christian Marion qui prend la plume.
Photo : BD/Equinox
Mercredi dernier, le Parlement espagnol a décidé de ne pas ratifier le Traité d’amitié franco-espagnol, pourtant présenté en grande pompe lors du sommet de Barcelone en janvier 2023.
Ce revers est largement dû aux manœuvres politiciennes de l’opposition (PP et VOX), mais aussi à celles des alliés ambigus du gouvernement de Pedro Sánchez, notamment PODEMOS et JUNTS. À force de calculs partisans, ces formations ont fini par torpiller un texte qui portait une ambition bien plus grande que la politique intérieure espagnole.
Certes, ce n’était ni le premier, ni le dernier traité entre la France et l’Espagne : on dénombre près de 400 accords, conventions et traités bilatéraux. Une densité normale entre voisins qui cherchent à organiser leur cohabitation. Mais pourquoi cet échec me semble-t-il si significatif ?
Un traité pour l’Europe
Parce que nous vivons un moment exceptionnel. Le projet européen a besoin d’un nouvel élan, tant pour renforcer son intégration que pour affirmer son autonomie face aux défis extérieurs. Après les grands duos du passé — De Gaulle–Adenauer, Kohl–Mitterrand, Chirac–Schröder — le couple franco-allemand montre des signes d’essoufflement.
L’Espagne est, à ce titre, le partenaire naturel pour accompagner un nouveau cycle européen. Le traité de Barcelone portait un message profondément européen, à la fois pour Paris, Madrid, et pour l’ensemble du continent.
Des défis communs, des solutions partagées
Ce traité aurait aussi permis de mieux aborder les défis concrets auxquels nos deux pays font face.
Énergie : l’actualité ne pouvait être plus éloquente. Il y a à peine deux semaines, l’Espagne subissait un black-out national de près de 12 heures.
Transport : les relations entre la SNCF et la RENFE sont tendues. Le ministre espagnol Óscar Puente s’est illustré par plusieurs accrochages verbaux — certains affirment même qu’il apparaît de manière subliminale dans la dernière publicité de Ouigo en Espagne…
Rien d’insurmontable, bien au contraire. La participation croisée de ministres français et espagnols aux conseils des ministres aurait pu faciliter la recherche de solutions concrètes. Or c’est précisément cette clause de coopération renforcée qui a suscité la méfiance des partis nationalistes, jusqu’à leur retrait pur et simple.
L’amitié franco-espagnole à l’épreuve du temps
Les relations franco-espagnoles sont anciennes, parfois surprenantes, et souvent codifiées de façon originale. Quelques traités méconnus méritent le détour :
• Le traité des Trois Vaches (1375) oblige la France à remettre à l’Espagne trois vaches depuis le Moyen Âge, à la frontière entre le Béarn et la Navarre.
• La souveraineté partagée de l’île des Faisans : une sorte d’ »île Saint-Louis » sur la Bidassoa basque, placée sous contrôle français du 1er août au 31 janvier, et sous contrôle espagnol du 1er février au 31 juillet.
• Ou encore le traité de Péronne (1641), qui établissait une alliance entre la France et la Catalogne en reconnaissant Louis XIII comme comte de Catalogne… et qui visait à garantir l’indépendance catalane vis-à-vis de l’Espagne.
L’histoire des traités entre nos deux pays est riche et parfois cocasse. Mais celui de Barcelone portait une vision, une utilité, un message. Le laisser tomber maintenant, c’est rater un rendez-vous avec l’Histoire.