Dans une ville où on trouve des glaciers à chaque coin de rue, les boutiques rivalisent d’ingéniosité pour se démarquer entre saveurs étonnantes, textures inédites ou concepts nouveaux. Mais la surenchère de l’originalité ne va-t-elle pas trop loin ?
Comment faire pour se démarquer dans une ville qui compte plus d’une centaine de glaciers ? La réponse est simple : il faut inventer des saveurs, innover, il faut de l’inédit. Exit le vanille-fraise, place au piment d’Espelette. Fini le chocolat, bienvenue au romarin. Une contorsion obligée, nous explique Aurélien, un Français propriétaire du glacier éponyme à Gràcia : « Il faut que chacun ait son style. On est passés de 40 glaciers pré-covid à 150 aujourd’hui donc oui, il faut des éléments différenciants. »
Lui a choisi l’audace. On trouve dans sa boutique des goûts jamais vus comme fromage de chèvre ou avocat. Des créations originales qui sont, en fait, le travail de tout glacier « auteur », nous dit-il. Une précision qui a son importance à Barcelone. En effet, la scène glacée de la ville se divise en deux catégories : les glaciers artisans, auteurs comme Aurélien qui inventent leurs produits, et les grosses machines comme Anita, qui concocte des glaces classiques non-artisanales.
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C’est parmi la première catégorie que l’on bat des records d’innovation. Au-delà de la glace en elle-même, les boutiques rivalisent aussi de concepts, esthétisant au maximum leurs produits et leur local. Une particularité qui a le don d’agacer certains clients comme Adam (le prénom a été changé) qui ne comprend pas l’engouement pour ce genre de boutiques « uniquement faites pour faire le buzz sur TikTok ». Ce jeune Montpelliérain arrivé à Barcelone il y a près d’un mois a été emmené dans un de ces endroits par sa petite amie qui avait adoré l’esthétique du lieu, « parfaitement instagrammable » continue Adam.
La glace, star des réseaux
Que les glaciers aient cédé aux sirènes des réseaux n’est pas étonnant et même plutôt normal. C’est sur ces derniers que les jeunes font les listes d’envies pour leur voyage. Et dans l’algorithme ce n’est pas le goût qui compte : c’est l’esthétique. Sur TikTok par exemple, lorsqu’on tape « glacier Barcelone », la boutique la plus mentionnée est BoBa, à Fort Pienc, qui propose des glaces en forme d’animaux. Impossible de quantifier le nombre de clients qui se font influencer, mais au vu des commentaires demandant l’adresse sous les vidéos, nul doute qu’un certain nombre se laisse convaincre de cette manière.
Aurélien aussi s’est laissé séduire, en créant la glace « Chocolat Dubaï », une chocolat-pistache inspirée de la tablette Dubaï (fourrée à la pistache) qui a explosé sur les réseaux il y a quelques temps. Et ça marche : notre glacier nous confirme que suite à la promotion du parfum sur les réseaux, énormément de clients sont venus goûter cette création.
@silly.girl.guide Desserts to try in #barcelona BoBa The cutest ice creams in the city I think they also have other things like wheel cakes and bubble waffles (that pistachio one was really good too) #barcelonatiktok #desserts #bcntiktok #barcelonatiktoks #barcelonaguide #barcelonacity #whattodoinbcn #whattodoinbarcelona #explorebarcelona #exploringbarcelona #bcnfoodies #bcnfood #barcelonafood #barcelonaeats #bcneats #veggiebarcelona ♬ Lady Killers II – G-Eazy
D’autres enseignes misent au contraire tout sur l’émotion en créant un narratif autour du dessert glacé. Ce n’est plus une boule vanille, mais un souvenir d’enfance. Pas une glace caramel, mais une expérience gustative. C’est par exemple ce que fait Mama Heladera, à Poblenou, « le premier glacier des souvenirs ». Chez Irene Iborra, la propriétaire, on fait donc des glaces inspirées par les souvenirs des clients : c’est un « neuro-glacier ». À la carte donc, des goûts comme « La grand-mère t’envoie au cerisier pour ton goûter », une saveur de cerise acidulée ou « Souvenir de Coco de Liang », une glace au goût de coco inspirée par leur ami Liang.
Un concept farfelu – d’aucuns diront que ça va un peu loin pour de la crème glacée – mais apprécié par les clients, qui dit beaucoup d’un marché qui ne peut plus se contenter de « juste » vendre des glaces. Après environ 3 000 ans d’existence, que le dessert préféré de l’été évolue encore est tout de même une bonne nouvelle, tant que le concept est au service de la qualité.