Depuis le printemps 2022, plus besoin de choisir entre la France et l’Espagne. La double nationalité est désormais possible pour les Français, et les demandes explosent. Mais qui sont ces nouveaux binationaux ? Éléments de réponse.
Photo : Clémentine Laurent
« Cela fait 13 ans que je vis en Espagne et je n’ai pas l’intention de revenir en France, alors la demande de nationalité, c’est un peu comme une confirmation de ma résidence ». Audrey Marin-Laflèche, entrepreneuse installée à Barcelone, a débuté les démarches il y a quelques mois. Mais elle le reconnait : elle n’aurait pas fait cette demande si elle avait dû renoncer à son passeport français, comme c’était le cas avant les accords de Montauban.
Depuis l’entrée en vigueur de cette convention bilatérale en avril 2022, les Français peuvent désormais obtenir la nationalité espagnole tout en conservant leur nationalité d’origine. Une disposition attendue depuis longtemps, notamment par les expatriés de longue date. Ils sont ainsi 1039 Français à avoir demandé et obtenu la nationalité espagnole en 2024, alors qu’ils n’étaient que 161 en 2021.
« Il y avait une véritable attente des résidents qui ont passé toute leur vie ici », raconte Stéphane Vojetta, député des Français de la péninsule ibérique. Car cette double nationalité, pour beaucoup, c’est avant tout la validation d’un sentiment d’appartenance aux deux cultures et aux deux communautés nationales. L’élu confie d’ailleurs qu’il souhaite lui aussi faire sa demande « pour avoir le droit de vote dans ce pays où j’habite depuis 20 ans ».
« C’est uniquement symbolique, je n’aurai pas plus de facilités ici en étant Espagnole que Française », précise Audrey, dont l’entreprise a mis sur pied un programme d’accompagnement à la demande de double nationalité. Le processus dure en moyenne sept mois, il comprend un examen de culture espagnole et un autre de langue, et coûte un peu plus de 300 euros.
Des motivations différentes
Mais si l’entrepreneuse ne verra pas une grande différence dans son quotidien, sa fille de 16 ans a bien plus intérêt à faire sa demande. De nombreuses universités ont en effet des quotas réduits d’étrangers, et le double passeport lui permettra de postuler, non seulement aux places plus nombreuses réservées aux Espagnols, mais aussi à celles destinées aux non-nationaux. « Elle double ses chances, et elle aura aussi accès à davantage de bourses », ajoute sa maman. De fait, la grande majorité des demandes reçues par l’entreprise d’Audrey concerne des adolescents, enfants d’expatriés. D’une part parce qu’ils ont grandi ici et se sentent avant tout Espagnols. Et d’autre part parce que cela facilitera leurs études supérieures.
Mais les Fançais d’Espagne et leurs enfants ne sont pas les seuls à demander la binationalité. De nombreux fils d’immigrés espagnols, Français car nés en France, réclament eux aussi leur passeport espagnol. Et pour Audrey, « ce sont des dossiers particulièrement chargés d’émotion ». Encore plus qu’un symbole, une réconciliation. « C’est un moment très émouvant, confie Daniel, dont les parents avaient fui la guerre vers Paris et qui est revenu vivre en Catalogne à la retraite, c’est comme une réparation qui nous est faite, l’Espagne qui accueille à nouveau ses enfants perdus ». Car plus qu’une simple démarche administrative, la demande de double nationalité franco-espagnole est avant tout un acte citoyen, politique et chargé de l’histoire de chacun.