ien que l’épisode que nous avons subi pendant plus d’une semaine en Espagne soit un exemple clair de vague de chaleur longue, intense et précoce, nous ne pouvons pas appeler ainsi tous les épisodes de températures élevées. Il est vrai que l’essentiel est de supporter l’inconfort météorologique du moment, mais est-il nécessaire ou même important de l’appeler vague de chaleur ?
Par Roberto Serrano Notivoli, ,Maître de conférences en Géographie physique, Université autonome de Madrid – Photo : Cyane Morel
Nous nous demandons rarement ce que signifie ce concept, quelles conséquences il peut avoir au-delà de sa durée, et encore moins nous préoccupons-nous de son origine ou de ses caractéristiques atmosphériques et climatiques.
Ce type de phénomènes se caractérise par des températures extrêmes qui se succèdent pendant plusieurs jours et peuvent avoir un impact plus ou moins important sur la biodiversité, l’agriculture, et même sur la santé humaine.
Dans notre omniprésent climat méditerranéen, les plus notables en raison de leur fréquence sont les vagues de chaleur, souvent aggravées en ville par l’effet urbain.
L’Organisation météorologique mondiale (OMM) affirme qu’entre 1998 et 2017, plus de 166 000 personnes sont mortes à cause des vagues de chaleur, y compris celle la plus intense de l’histoire récente en Europe, durant l’été 2003, lorsque plus de 70 000 personnes sont décédées de causes directement liées à cet événement extrême.
Il semble donc justifié de vouloir prédire ce type de phénomènes et de mettre en place ou d’améliorer les systèmes d’alerte précoce. Pour cela, il faut commencer par savoir, au minimum, comment ils étaient dans le passé, à quelle fréquence ils se produisaient, et, si possible, établir une classification selon leur intensité.
Sans définition claire
C’est là que commencent les problèmes : il n’existe pas de définition claire, unique et objective de ce qu’est une vague de chaleur (ou de froid). En Espagne, l’AEMET utilise ses propres critères, basés sur la durée, l’intensité et l’étendue spatiale du phénomène. Bien qu’ils soient en vigueur, faciles à appliquer et conformes aux indications de l’OMM, ces critères sont souvent peu représentatifs d’une réalité climatique en mutation.
Récemment, nous avons publié une étude où nous analysons la survenue historique des vagues de froid et de chaleur en Espagne sous un angle différent : nous considérons également une durée minimale de trois jours (ce qui est assez consensuel au niveau mondial), mais nous tenons compte des excès simultanés de température maximale et minimale le même jour sur une période historique plus large (1940-2012), afin d’englober la plus grande variabilité climatique possible.
Pourquoi rendre les critères plus stricts ? Prenons un exemple : la température maximale est généralement atteinte en début d’après-midi, lorsque le soleil a déjà passé son zénith et que la surface terrestre commence à émettre toute l’énergie accumulée. À ce moment-là, on peut atteindre des records par quelques dixièmes si l’on compare avec une période de référence trop courte, ce qui peut se produire plusieurs jours de suite et donc être considéré comme une vague de chaleur, sans que les effets soient nécessairement extrêmes.
Et qu’en est-il des températures minimales (qui ne sont actuellement pas prises en compte) ? Elles se produisent généralement à l’aube, juste avant le lever du soleil, et représentent donc la sensation thermique à l’heure du coucher. Le lecteur sait sûrement ce que signifie enchaîner plus de trois jours avec des températures extrêmes le jour et la nuit. Cela implique non seulement des difficultés pour vivre normalement, mais aussi pour se reposer. Imaginez maintenant l’impact sur les personnes atteintes de maladies, les personnes âgées, les bébés ou d’autres groupes sociaux vulnérables.
Davantage de vagues de chaleur dans les villes plus fraîches
Il se trouve que, dans des lieux clairement chauds l’été comme Séville, Saragosse ou Almería, les vagues de chaleur ne sont pas si fréquentes, longues ou intenses que dans d’autres endroits de la péninsule. En revanche, des villes comme Santander et Bilbao connaissent des épisodes très extrêmes les rares fois où ils se produisent.
En contextualisant la définition de vague de chaleur ou de froid dans le climat local lui-même, on relativise l’ampleur de l’événement en l’adaptant aux conditions thermiques habituelles de l’endroit. Ce qui semble étouffant à une personne de Bilbao peut paraître relativement normal à une personne de Séville.
Notre étude a démontré, par exemple, que la vague de chaleur de 2003 fut exceptionnelle en durée et en intensité à Barcelone et à Santander, mais dans la norme pour ce type d’événements à Almería.
En revanche, on a constaté que la vague de froid de 1956, l’une des plus intenses du siècle dernier, fut très extrême dans pratiquement toute l’Espagne. Cela s’explique par le fait que la faible fréquence des vagues de froid dans un climat aux hivers doux comme le nôtre implique des impacts bien plus intenses, car nous ne sommes pas habitués à des températures négatives extrêmes pendant plusieurs jours. Heureusement, les vagues de froid ne sont pas très fréquentes en Espagne.
Des températures de plus en plus élevées
Cela n’a pourtant pas toujours été le cas. Les tendances de fréquence, de durée et d’intensité de tous les événements ont montré une augmentation généralisée des vagues de chaleur depuis la seconde moitié du siècle dernier. En fait, un tournant a été constaté au début des années 80, moment où les vagues de chaleur deviennent plus fréquentes, longues et intenses que celles de froid. De plus, l’analyse des schémas atmosphériques à l’origine de ces événements a montré que toutes les situations donnant lieu à des vagues de froid ont diminué en fréquence, tandis que celles donnant lieu à des vagues de chaleur extrêmes ont augmenté.
Le climat est extrêmement variable et il est difficile de comparer une vague de chaleur ou de froid avec les précédentes, simplement parce que notre mémoire climatique est très courte. Mais les données parlent d’elles-mêmes : nous vivons une époque de plus en plus difficile sur le plan climatique.
Nous allons devoir affronter plus souvent des situations qui auparavant étaient exceptionnelles, et c’est pourquoi il est nécessaire de bien connaître quand ces événements vont survenir et comment ils seront, afin d’y être préparés. Nous savons déjà qu’une vague de chaleur ou de froid ne touche pas de la même manière tout le pays : il est désormais temps d’évaluer dans chaque endroit l’inégalité des impacts selon les groupes sociaux. Mais cela fera l’objet d’un autre article.