L’Espagne rime avec cocaïne. Ce n’est pas un cliché, le pays connaît une surconsommation de poudre blanche. Explications.
« Aujourd’hui, un plombier prend de la cocaïne, un maçon aussi. Ce n’est plus l’apanage de la haute société, des puissants ou des riches en Espagne » analyse le journaliste David López dans son essai Una rayita ?(une petite ligne ?) paru chez Anagrama en juin dernier. La fiche de paie, et non plus la position sociale glamour, est la nouvelle frontière de celles et ceux qui s’offrent le petit luxe de tirer un trait.
Pourtant, en Espagne, le gramme de coke n’a pas spécialement connu l’inflation. Il valait 10 000 pesetas au détour des années 1980 : il faut aujourd’hui débourser 60 euros, quasiment du pareil au même.
Au cours des deux dernières décennies, la proportion de la population espagnole ayant sniffé de la cocaïne au moins une fois dans sa vie a triplé. On parle d’un contingent de 12% du pays, en faisant le taux le plus élevé au monde.
Lire aussi : La « drogue des pauvres » envahit Barcelone
La question à un million d’euros : pourquoi ? D’entrée, l’auteur du livre balaie la théorie du pays portuaire, qui signifierait que l’on retrouverait le même phénomène au Portugual, ce qui n’est pas le cas. Dans la nation frontalière, la consommation y est 10 fois plus basse. Le journaliste ne croit pas non plus à la thèse de la plaque tournante qui favoriserait une ingestion à chaque coin de rue. « Nous sommes aussi le premier producteur mondial d’olives, mais seulement le quatrième consommateur » s’amuse l’auteur.
Prendre de la coke, une action banale
La banalisation de la cocaïne en Espagne est très forte et pourrait partiellement expliquer la surconsommation. Par exemple, à Vilagarcía de Arousa, en Galice, région ou le narcotrafic était omniprésent dans les années 1980-1990, une affiche publicitaire affirmait : « Le meilleur de Colombie passe par ici ». Les barons de la drogue ne s’étaient pas acheté une pub 4 par 3, mais un producteur de café torréfié surfait sur l’attrait local de la coke pour vendre ses sacs de grains.
À des centaines de kilomètres, sur une affiche de la Puerta del Sol à Madrid, à l’approche des fêtes de fin d’année, on pouvait lire « Oh, blanca Navidad » (Oh, blanc Noël) à côté du visage de Walter Moura, qui incarne Pablo Escobar dans la série Narcos de Netflix. Un marketing cocaïne qui s’affiche également dans le métro : « Ne dépassez pas la ligne », toujours pour promouvoir la série Netflix.
Dans le sens inverse, des associations tentent de lutter contre cette banalisation. « Una rayita? » revient sur les campagnes de communication qui ont tenté d’effrayer le public. Une des plus marquantes reste probablement celle de la fondation contre la Toxicomanie en 1992 : « Ten cerebro. Pasa de la coca. » Traduction : « Achète-toi un cerveau, évite la coke. »
Pour illustrer, on pouvait voir dans le spot un ver pénétrant dans une narine direction le cerveau pour le manger. Une métaphore glaçante qui, de toute évidence, n’a pas trouvé son public. La répression contre les consommateurs et la peur brutale n’a jamais fait ses preuves, abonde le journaliste.
La réduction de la consommation dépend d’une information et d’une prévention tangibles : expliquer la composition de la cocaïne, son processus de fabrication, son implication dans le financement du narcotrafic et ses impacts sociaux… Elle nécessite aussi de s’attaquer aux problèmes sociaux qui poussent tant de personnes vers la drogue, continue David López.
Une drogue pour les vieux ?
Ceci étant dit, l’addiction à la cocaïne pourrait vivre ses dernières décennies en Espagne. La poudre blanche apparait de plus en plus comme un truc de vieux, en tout cas au regard des nouvelles générations. Une enquête du Plan National sur les Drogues citée dans le livre met en lumière qu’en 2008, avant la crise économique, les moins de 35 ans étaient les principaux consommateurs de coke. En 2025, les cocaïnomanes appartiennent à la tranche d’âge des 35-45 ans.
Finalement, dans le pourquoi du comment de cette surconsommation espagnole, le journaliste David López refile les dés aux politiques, dans une interview donnée à nos confrères de « Público » : « C’est une question que doivent se poser les décideurs politiques, qui doivent adopter une vision réaliste pour comprendre pourquoi les Espagnols consomment tant de cocaïne, mais aussi pourquoi les femmes ont leur sac à main rempli d’anxiolytiques, ou pourquoi, de manière générale, l’on boit autant dans ce pays . »