Pour beaucoup d’expats, l’été est synonyme de départ. Mais après des années à Barcelone, on ne part pas sans un pincement au cœur. Faut-il marquer le coup avec une grande fête, ou préférer des adieux plus discrets ? Y a-t-il vraiment une bonne manière de dire au revoir ? Éléments de réponse.
Photos : Clémentine Laurent
« Despedida » en espagnol est quasi intraduisible. Il vient du verbe « despedir » (dire au revoir), qui vient lui-même du latin expetere, composé du préfixe « ex- » (hors de) et « petere » (demander, chercher, s’adresser à). Donc « despedirse », signifie littéralement « demander la permission de partir ». Or quand on est adulte et expatrié, on ne demande pas cette permission, on la prend, et on organise une despedida pour mieux vivre le départ.
Après huit ans passés à Barcelone, Estelle, entrepreneuse trentenaire et maman, a choisi de dire au revoir « en mode tranquille ». Enfin, « tranquille », ça dépend de la définition de chacun : « On a fait une grande fête avec les amis et leurs enfants et un beau gâteau personnalisé ! C’était normal pour moi de dire au revoir », explique-t-elle. Elle a donc organisé un goûter où les amis sont venus par vagues, leurs enfants dans les bras. « Un autre groupe d’amies m’a même organisé une autre soirée surprise », raconte-t-elle. Triste de quitter ses proches, elle se sent pourtant « alignée » avec ce choix, excitée par la nouvelle vie qui l’attend.
La manière de « despedirse » d’Estelle est-elle la bonne ? Il n’y a pas de réponses à cette question, s’amuse Laura Vigoroux, psychologue. « Il n’y a pas de loi universelle. Ça peut être très personnel ou collectif. Tout dépend de la personnalité, mais aussi des raisons du départ », analyse-t-elle. Partir par choix, par amour ou pour un nouveau projet enthousiasmant n’a rien de commun avec un départ contraint, subi ou professionnel. « Ce qu’on quitte et ce vers quoi on va changent la manière dont on vit ces adieux. »
Dimitri, 34 ans, a fait le chemin inverse d’Estelle. Pressé par l’annonce d’une grossesse, il a quitté Barcelone avec sa compagne il y a deux mois : « Je préférais faire une fête pour marquer le coup et ne pas faire trop de drama, ma compagne préférait des verres séparés pour passer un dernier moment intime. Finalement on a fait les 2. » Aujourd’hui, il se dit « satisfait, mais ému », de la manière dont il est parti, conscient qu’il ne sait pas quand il reverra les gens qui ont partagé sa vie ici.
« Accepter ce que l’on ressent »
Pour Laura, ces émotions mixtes – tristesse, gratitude, excitation – sont normales. Elle conseille de « prendre le temps de dire au revoir à la ville, à la vie, aux gens. Faire le deuil de cette étape de vie qui se termine, accepter que tout ça arrive à la fin. » Pour cela, il ne faut pas hésiter à créer des rituels symboliques : une dernière balade dans les rues de Gràcia ou de Poblenou, revoir les endroits où tout a commencé, passer un moment seul pour s’approprier ce départ. « On peut aussi exprimer ses émotions de façon créative, écrire, dessiner, danser… L’important est d’accepter ce que l’on ressent, même si c’est contradictoire. »
À Barcelone, ces adieux ont un goût particulier. La ville attire chaque année des milliers d’expatriés, au point qu’un Barcelonais sur quatre est aujourd’hui étranger, un chiffre multiplié par 16 en vingt-cinq ans. Un va-et-vient permanent qui crée une certaine « fatigue sociale » pour ceux qui restent, souligne Laura : « Les gens qui restent voient partir leurs amis au fil des années. C’est normal d’être triste ou en colère. Les amitiés c’est aussi ça, il y a des émotions négatives. Le principal, c’est d’accepter et de savoir ce qui est important pour soi, parce que les relations à distance, ça demande du temps et de l’effort. »
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Estelle, désormais à Paris, ne regrette rien. Dimitri, plus hésitant, continue de se demander s’il a pris la bonne décision. « C’est un choix de raison plus que de cœur », admet-il. Laura résume : « Il faut accepter qu’il n’y a pas de bonne ou mauvaise manière de vivre ce départ et prendre toutes les émotions comme elles viennent. »