Le dragon bleu, la nouvelle menace des plages catalanes ?

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Très joli mais tout aussi dangereux : le dragon bleu, une petite limace de mer au look impressionnant, a fait surface sur plusieurs plages espagnoles cet été. Rare en Méditerranée, ce visiteur tropical interroge : pourrait-il atteindre le littoral catalan ?

Photo : Ajuntament de Barcelona

Il tient dans la paume de la main, brille d’un bleu métallique, flotte sur le dos comme un cerf-volant marin… et fait lever des drapeaux rouges. Le “dragon bleu” (Glaucus atlanticus), nudibranche tropical aussi photogénique qu’urticant, a fermé des plages en Espagne cet été. De Guardamar del Segura, à Alicante, à La Línea de la Concepción, à Cadix, en passant par Lanzarote, Valence ou encore Majorque, où un spécimen a été observé pour la première fois en plus d’un siècle, cette petite limace tropicale qui ressemble à un pokémon a contraint les autorités à fermer des plages par précaution. Ce visiteur venu d’ailleurs, autrefois rarissime sous nos latitudes, se multiplie désormais dans des zones où sa présence semblait inimaginable.

Le mécanisme est simple : le dragon bleu est une espèce pélagique, c’est-à-dire qu’il vit en pleine mer, porté par vents et courants. Il flotte à la surface grâce à une bulle de gaz et se nourrit notamment de la caravelle portugaise, une méduse extrêmement urticante dont il récupère les cellules venimeuses pour les concentrer dans ses propres appendices. Petite taille, grosse piqûre : le cocktail a de quoi alimenter la prudence des autorités. D’après la base de données DORIS, la piqûre du dragon bleu peut provoquer des douleurs si intenses qu’elles entraînent parfois une perte de connaissance, avec un risque de noyade. Les personnes qui manipulent l’animal s’exposent aussi à des chocs anaphylactiques et à de sérieuses infections.

En Catalogne, aucun avertissement confirmé n’a eu lieu à ce jour. Mais les conditions qui favorisent son apparition ailleurs sont désormais réunies. Cet été, la Méditerranée occidentale a enregistré des températures de surface exceptionnellement élevées, parfois plus de cinq degrés au-dessus des normales saisonnières. Dans le même temps, les régimes de vent et de courant évoluent : en 2024, la caravelle portugaise est arrivée pour la première fois jusqu’aux plages d’Altafulla et de Tamarit, sur la Costa Daurada, signe que les barrières naturelles qui protégeaient le littoral catalan commencent à céder. La présence de la caravelle, dont se nourrit Glaucus atlanticus, est en soi un indice : si elle est capable d’atteindre la Catalogne, pourquoi son prédateur ne le pourrait-il pas ?

Appel à la vigilance sur le dragon bleu

Les spécialistes restent prudents, mais ils ne ferment pas la porte à cette éventualité. « Ce n’est pas une espèce habituelle en Méditerranée, elle est plutôt océanique… et elle n’est pas venue pour rester », souligne Elisa Martínez, biologiste à l’Oceanogràfic de Valence, qui relie son apparition aux températures anormalement élevées de la mer. Juan Antonio Pujol, qui avait documenté les premiers spécimens en 2021, fait le même constat : pour lui, cette espèce tropicale profite du réchauffement et de la modification des courants, deux phénomènes directement liés au changement climatique. Mais il se veut rassurant : « À ce jour, ce n’est pas un danger majeur sur nos plages… c’est très beau, mais mieux vaut ne pas le toucher. »

D’autres voix insistent sur le caractère isolé du phénomène. Juan Lucas Cervera, professeur à l’université de Cadix et spécialiste des nudibranches, considère qu’il y a parfois « sur-réaction » : fermer une plage pour trois ou quatre individus lui paraît excessif. À ses yeux, l’important est de surveiller. « Jusqu’à présent, il n’était jamais apparu ici, d’où l’alarme à chaque observation », explique-t-il.

Pour autant, les apparitions répétées de ces dernières années laissent penser à un schéma en augmentation, et Juan Lucas Cervera appelle les citoyens à contribuer à la documentation scientifique en photographiant et signalant tout spécimen. Mais attention à ne surtout pas y toucher, si vous en trouvez un sur le sable ou dans l’eau : même effleuré, l’animal peut déclencher brûlures et douleurs violentes. Et si la piqûre survient, oubliez l’eau douce ou le vinaigre : seul un rinçage à l’eau de mer limite les dégâts. Si la douleur persiste, direction le centre de santé sans attendre.

Conséquence du réchauffement des eaux

Le consensus scientifique est en tout cas clair comme de l’eau de roche : le changement climatique est le moteur principal de cette expansion inédite. La combinaison d’eaux plus chaudes et d’une plus grande abondance de caravelles portugaises crée un contexte propice à la présence du dragon bleu, malgré son habitat d’origine, l’océan ouvert. « La présence du dragon bleu semble se consolider dans différentes zones du littoral méditerranéen espagnol », résumait ainsi Samuel de la Fuente sur Onda Cero, y voyant le signe d’un bouleversement des écosystèmes marins.

En Catalogne, le scénario le plus probable reste celui d’un passage ponctuel, lors d’un été exceptionnellement chaud et porté par un vent du sud. Pas de colonisation durable donc, mais un risque saisonnier de visiteurs exotiques qu’il vaut mieux ne pas toucher. Les autorités appliqueraient d’ailleurs les mêmes protocoles qu’ailleurs : drapeau rouge, information au public et retrait précautionneux des spécimens.

Alors, faut-il craindre une « nouvelle menace » sur les plages catalanes ? Pas vraiment, disent en substance les experts, mais pas question non plus de relâcher la vigilance. Spectaculaire, potentiellement urticant, mais rare et passager, le dragon bleu incarne à lui seul les dérèglements climatiques qui transforment déjà la Méditerranée. Fausse alerte estivale ou premier épisode d’une chronique catalane du dragon bleu ? On verra bien au prochain coup de vent du sud.

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