Dans la gastronomie catalane faut-il désormais ajouter le grillon ? En Catalogne, une petite équipe destine cet insecte à l’alimentation humaine. Du carrot cake sans gluten aux barres protéinées, trois entrepreneurs misent sur les qualités nutritionnelles et la production durable de cet ingrédient – une révolution alimentaire entre promesse écologique, scepticisme culturel et enjeux sanitaires.
A une heure de Barcelone, dans la commune de Seva, l’entrepôt de la ferme Grillco ressemble à n’importe quelle bâtisse. Pourtant, à l’intérieur, près de 20 millions de grillons évoluent dans des caisses soigneusement empilées. Blouse blanche, charlotte sur la tête, mains gantées, Bernat Monter, ancien boucher devenu entrepreneur alimentaire, s’est lancé dans un art culinaire pour le moins singulier, l’élevage des grillons et de leurs œufs. Ici, pas de vaches ni de cochons : température constante, silence et odeur végétale composent un cadre très différent de l’image traditionnelle des élevages.
Un ingrédient plutôt qu’un insecte
« Tout est bon dans le grillon » est la devise de cette entreprise qui utilise l’insecte pour en produire des biscuits enrichis, des barres énergétiques, des soupes, des pâtes ou encore du miel à la vitamine B12. Un marché encore timide en Espagne, qui grandit lentement au rythme des innovations locales. Pour créer toute cette gamme, le grillon est transformé en farine. Le but est d’obtenir un produit final riche à 70 % de protéines.
Dans leur viseur, les sportifs, attirés par une protéine très assimilable et naturelle, et les personnes âgées en carence de vitamines lorsqu’elles réduisent leur consommation de viande. « On ne veut pas remplacer la viande. L’idée, c’est que chacun en mange moins, mais de meilleure qualité, puis de compléter avec notre protéine. C’est simplement un ingrédient de plus, 100 % naturel. » explique le fondateur.
Un superaliment qui utilise beaucoup moins de ressources que les productions intensives animales ou végétales classiques. Selon Grillco, face à la viande de bœuf, cet insecte consomme seulement 5 % de l’eau, de la terre et du CO₂ nécessaires pour obtenir la même quantité de protéines.
La distribution n’en est qu’à ses débuts : vente sur internet, dans quelques herboristeries et boutiques de nourriture en vrac. La suite dépendra de l’intérêt de l’industrie agroalimentaire, encore prudente, mais essentielle pour proposer la farine à un prix compétitif.
Un appétit pour le changement… mitigé dans le sud de l’Europe
En Espagne comme dans la plupart des pays du sud de l’Europe, l’idée de manger un insecte inspire encore le dégoût. Pourtant en 2022, l’Union Européenne a donné son feu vert au grillon domestique pour la consommation humaine comme « novel food » après des années d’évaluations.
Comme les crustacés, les grillons peuvent provoquer des réactions allergiques chez certaines personnes, d’où l’étiquetage strict exigé par la réglementation européenne. Certaines études évoquent aussi des risques parasitaires dans des élevages mal contrôlés. Ces risques peuvent être maîtrisés dans des installations fermées respectant les protocoles européens, notamment grâce à des étapes comme la congélation ou le séchage. Des obligations sanitaires qui expliquent le temps pris par Grillco pour démarrer : deux ans pour aligner installations, inspections, et certification « gluten free ».
L’obstacle principal n’est pas tant sanitaire, que psychologique. L’acceptation dépend fortement des cultures culinaires et du rapport à l’animal. « Vendre le grillon entier, ici, c’est trop tôt. En farine, en revanche, il se mélange sans choquer dans du salé comme du sucré, et son goût est neutre », constate Bernat.
Effet de mode ou véritable alternative durable ?
L’utilisation alimentaire des insectes est déjà plus avancée dans les pays du Nord de l’Europe et de l’autre côté de l’Atlantique. Et contrairement aux idées reçues, les plus jeunes ne sont pas forcément les plus ouverts à consommer des insectes : les 40-59 ans sont le groupe le plus disposé à goûter ou adopter ces produits, et les hommes sont plus enclins que les femmes à les tester – selon une étude menée par Marta Ros de l’Université Ouverte de Catalogne.
Ce qui pousse peu à peu les consommateurs à franchir le pas, ce sont les bénéfices environnementaux et nutritionnels. Grillco défend un modèle local, avec des fermes proches des consommateurs, pour limiter les transports et réduire l’impact climatique. « L’insecte fera partie du futur alimentaire, qu’on le veuille ou non, ce sera une option de plus », affirme Bernat.
En attendant, les trois entrepreneurs poursuivent leur pari, imaginant des recettes de smoothies, de gâteaux ou de crackers protéinés qui trouveront peut-être, un jour, leur place dans les cuisines catalanes.
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