Panne électrique : l’Espagne peut-elle encore séduire les data centers ?

électricité barcelone

La panne électrique de lundi a révélé au grand jour la fragilité d’un réseau espagnol déjà sous pression. À l’heure où le pays aspire à devenir un hub européen des data centers, l’incident sonne comme un avertissement…

L’une des pistes prioritaires pour expliquer la panne de lundi réside dans l’énergie solaire… Un des atouts de l’Espagne pour attirer les data centers. (Crédit : Equinox)

L’Espagne connaît un véritable boom des data centers, attirant les investissements des géants du cloud et de la tech ces dernières années. À Barcelone, l’entreprise américaine Equinix a lancé son deuxième data center fin de l’année dernière, profitant de la position stratégique de la ville sur les réseaux de câbles sous-marins entre l’Europe, l’Afrique et le Moyen-Orient.

De son côté, le spécialiste Digital Realty construit également un centre de données de 15 MW près du port de Barcelone, à deux pas d’une station d’atterrissage de câbles sous-marins, confirmant le rôle émergent de la Catalogne comme nœud de connectivité international. La capitale Madrid n’est pas en reste : Google y a ouvert dès 2022 sa région cloud pour proposer localement ses services aux entreprises espagnoles. Une présence soutenue par un plan d’investissement de 650 millions de dollars sur cinq ans, et qui inclut le déploiement du câble transatlantique Grace Hopper débarqué à Bilbao en 2021.

En parallèle, d’autres géants américains ont misé sur les régions espagnoles plus intérieures pour implanter leurs énormes campus de serveurs. Ainsi, en Aragon, Amazon Web Services (AWS) a lancé fin 2022 une nouvelle région cloud et a annoncé en 2024 un plan d’expansion massif : 15,7 milliards d’euros d’investissement sur dix ans dans ses data centers aragonais. Microsoft s’est lui aussi engagé dans la course, avec un projet de 6,7 milliards d’euros au total pour agrandir ses data centers existants près de Madrid et construire un vaste campus de 88 hectares en Aragon.

Tout semblait réglé comme du papier à musique… Jusqu’à la panne du siècle, ce lundi 28 avril.

Cet incident hors norme – le pire black-out qu’ait connu la péninsule ibérique – met en lumière des fragilités systémiques. « Il a révélé les fragilités d’un réseau peut-être mal préparé à sa transition rapide vers les énergies renouvelables », accuse par exemple Le Point. En effet, l’Espagne a fortement accéléré l’intégration des sources renouvelables intermittentes ces dernières années, et un déséquilibre brutal de 15 GW suggère qu’un manque de réserve ou de coordination a pu aggraver la situation.

coupure de courant espagne

Par ailleurs, la péninsule est relativement isolée du reste de l’Europe en termes d’interconnexions électriques – la capacité d’échange avec la France n’est que d’environ 3 GW – ce qui limite les possibilités d’importation d’urgence en cas de défaillance majeure interne. Ce contexte a pu contribuer à l’ampleur du black-out, là où d’autres pays très interconnectés peuvent mieux absorber les chocs en s’appuyant sur leurs voisins. De quoi faire fuir les géants technologiques qui prévoient d’investir massivement la péninsule ?

Stabilité énergétique : quelles inquiétudes pour les data centers ?

Pour les entreprises technologiques ayant misé sur l’Espagne, cette panne générale sonne en tout cas comme un coup de semonce. Les centres de données exigent une alimentation électrique sans faille : une interruption de quelques millisecondes peut suffire à perturber des services numériques critiques, et un arrêt prolongé est tout simplement inenvisageable sans basculer sur des générateurs de secours. Si les data centers modernes sont équipés d’onduleurs et de groupes électrogènes capables de prendre le relais en cas de coupure, un black-out massif comme celui de ce lundi met ces systèmes de secours à rude épreuve sur la durée. De plus, il entame la confiance dans la fiabilité du réseau public.

« Notre mission est de créer des data centers à impact positif… La péninsule offre une connectivité fibre sans précédent et dispose d’une énergie renouvelable abondante, fiable et bon marché », avait déclaré en janvier le PDG d’Edged Energy pour justifier un investissement en Espagne. Ironie du sort, quelques mois plus tard, la démonstration du contraire s’est produite sous la forme de cette panne historique.

À court terme, il est peu probable que les géants du secteur remettent en cause leurs investissements déjà engagés, tant ceux-ci répondent à des besoins stratégiques et que l’Espagne garde des atouts uniques. « L’Espagne s’est imposée comme l’un des lieux idéaux pour investir et installer des data centers fournissant des services cloud et d’IA à toute l’Europe », a déclaré par le passé un responsable de Microsoft, Enrique Ruiz – un jugement qui restait largement admis avant l’incident. Néanmoins, la fiabilité de l’approvisionnement électrique figure en tête des critères déterminants pour ces entreprises. Elles pourraient donc exercer une pression accrue sur les autorités espagnoles afin d’obtenir des garanties de stabilité du réseau. Il est en tout cas révélateur que le gouvernement ait immédiatement mobilisé tous les moyens pour résoudre la crise et communiqué en transparence sur la progression du rétablissement. Madrid sait qu’elle joue sa crédibilité auprès des investisseurs technologiques.

Si à ce jour aucune entreprise n’a annoncé de retrait ou de gel de projet à cause de cette panne, la question d’une diversification géographique des futures infrastructures se pose. L’Espagne fait face à une concurrence européenne : des places comme le sud de la France (par exemple la région de Marseille, autre grand hub de câbles sous-marins) ou l’Italie (où Milan attire aussi des centres de données et où le réseau est interconnecté avec l’Europe centrale) pourraient apparaître comme des alternatives plus rassurantes en termes de stabilité électrique. D’ailleurs, lors du black-out ibérique, le sud de la France n’a été que brièvement affecté et a rétabli le courant très rapidement, démontrant la réactivité de son réseau.

L’Espagne toujours attractive ?

On peut dès lors imaginer que les géants du cloud adopteront une stratégie prudente : poursuivre le développement en Espagne, mais en répartissant leurs risques. La plupart disposent déjà de multiples régions cloud à travers le continent ; ils veilleront sans doute à renforcer les capacités ailleurs en Europe méridionale en parallèle, afin de ne pas dépendre d’un seul pays pour alimenter les marchés hispaniques et méditerranéens.

data centers

Ne vendons pas pour autant la peau de l’ours ibérique avant de l’avoir tué.  En dépit du choc qu’a représenté la panne, l’Espagne conserve de solides arguments pour rester un pôle attractif dans la course aux data centers. En définitive, l’Espagne ne devrait pas perdre son attractivité du jour au lendemain à cause d’un événement ponctuel, aussi spectaculaire soit-il. Le pays offre un écosystème complet qui reste très compétitif – infrastructures, talents, localisation, énergie verte… Alors que l’énergie solaire est une des pistes prioritaires pour expliquer la panne de lundi. Aïe.

« L’établissement d’infrastructures numériques solides, comme la région cloud de Google à Madrid, attire des investissements importants et stimule la croissance économique », rappelait un responsable de Google Cloud​ en juillet dernier. L’enjeu pour l’Espagne sera désormais de prouver dans les mois à venir que ce pari technologique peut tenir ses promesses sans rupture de courant. Sinon, on est bien parti pour un nouvel événement aux allures dystopiques…

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