Amazon, Meta, Microsoft, les centres de données se multiplient en Espagne et particulièrement dans les zones les plus rurales… et les plus arides.
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« Chaque goutte compte ». Pour lutter contre la sécheresse devenue chronique, les autorités espagnoles ne lésinent pas sur les slogans et les recommandations pour appeler les citoyens à la sobriété hydrique. Et ça fonctionne : avec une moyenne de 128 litres par jour et par habitant, les Ibériques ne cessent de réduire leur consommation en eau et sont parmi les plus économes d’Europe. Mais ne serait-ce qu’une goutte d’eau dans l’océan ? Car plus que nos douches et nos machines à laver, c’est notre consommation technologique qui pourrait bien aggraver la sécheresse dans le pays.
Depuis trois ans, l’Espagne est devenue une destination phare des GAFAM pour installer leurs data centers. Meta, maison-mère de Facebook, Instagram et Whatsapp, devrait obtenir à la fin du mois l’approbation régionale de son projet à Talavera de la Reina, une petite ville située en zone rurale à une heure et demi de Madrid. La firme américaine a annoncé plus de 750 millions d’euros d’investissement pour la construction du centre, 300 emplois durant les travaux puis 250 une fois le centre en activité.“Un projet stratégique et essentiel pour la région et pour le pays”, se félicitait la semaine dernière le président de Castilla-La Mancha Emilio García-Page. La région a d’ailleurs accéléré la validation du permis de construire dans cette ville où le taux de chômage dépasse les 24%. Les travaux devraient débuter dès l’année prochaine.
L’intelligence artificielle, accélérateur de consommation
De son côté, Amazon a annoncé cette année la création de 8000 postes de travail et 15,7 milliards d’investissements pour renforcer ses data centers en Aragon. Une somme inédite en Espagne, qui équivaut à 30% du PIB de la région. Stratégiquement située entre Madrid, Barcelone, Bilbao et Valence, et dotée de bonnes connexions technologiques, l’Aragon est devenue une zone de choix pour les GAFAM. Microsoft y a aussi un projet actuellement en construction, ainsi qu’au moins une quinzaine d’autres géants de la tech.
Mais à quel prix environnemental ? Ces chiffres-là sont bien plus opaques. On estime que les centres de données représentent actuellement entre 1 et 2% de la consommation en eau mondiale. Mais avec l’augmentation de l’activité numérique, et en particulier de l’intelligence artificielle, « elle pourrait dépasser les 30% en 2030 », avertit l’activiste Aurora Gomez, fondatrice du mouvement Tu Nube Seca mi Rio (« ton cloud assèche ma rivière »).
Pour s’entraîner avant sa sortie mondiale, ChatGPT a ainsi utilisé plus d’eau que l’auteure de cet article en sept ans. Dans son dernier rapport environnemental, Microsoft a révélé que sa consommation mondiale d’eau avait grimpé de 34 % entre 2021 et 2022, et Google de 20%. « Le problème n’est pas qu’ils gaspillent de l’énergie et de l’eau, mais que la taille de ces centres en Espagne est gigantesque, énorme, ce sont des macro-fermes de données », s’inquiète Aurora Gomez.
Pire, les GAFAM choisissent des régions en stress hydrique pour installer leurs serveurs. Leur consommation d’eau « est très importante dans les zones où les ressources en eau sont déjà rares actuellement », avertit Santiago Martín Barajas de l’association Ecologistas en Acción. Les activistes reconnaissent d’ailleurs que la consommation des data centers n’est pas toujours supérieure à celle de certaines industries ou à l’agriculture intensive, mais « elle s’ajoute à l’exploitation de nos ressources en eau de plus en plus réduites ».
L’Aragon, notamment, est particulièrement affecté par le manque d’eau. La région, qui table sur 25 milliards d’euros d’investissement en data centers au cours des dix prochaines années, vient d’octroyer 7 millions d’euros d’aides aux agriculteurs affectés par la sécheresse. Jusqu’où l’Espagne peut-elle puiser dans ses réserves sans finir par mourir de soif ? Une question insoluble quand il s’agit de ne pas mourir de faim. Dans les zones rurales espagnoles, 35 % de la population est confrontée au risque de pauvreté.