À l’heure où les dynasties d’entrepreneurs semblaient incarner la stabilité dans un monde économique mouvant, l’avenir des entreprises familiales en Espagne suscite aujourd’hui de sérieuses interrogations.
(Photo de couverture : Bastien Durand)
L’Espagne vit-elle une transition majeure de son tissu économico-social ? Dans un pays où la PME est reine, la question se pose. Mais une entreprise familiale au sens strict du terme, qu’est-ce que c’est ? Pour comprendre, quatre critères sont généralement admis : une volonté de transmission générationnelle, un contrôle majoritairement détenu par la famille, une gestion directe ou indirecte de l’entreprise, et au moins un membre de la famille impliqué dans les décisions stratégiques. Mais dans un contexte de mutations profondes, tant au sein de la famille que du monde des affaires, ce modèle résistera-t-il encore longtemps ?
Un soutien familial fragilisé dans un marché de plus en plus fermé
L’un des piliers des entreprises familiales, la structure familiale elle-même, est en pleine transformation. En Espagne, les foyers composés de couples avec enfants diminuent au profit des ménages unipersonnels. Une évolution démographique qui complique naturellement la relève générationnelle, socle de toute entreprise familiale.
Autre frein à la pérennité du modèle : la concentration des marchés. Bon nombre d’entreprises familiales espagnoles – telles que Mercadona, Bon Preu, Esteve, Meliá ou Puig – sont nées dans un environnement de concurrence ouverte. Aujourd’hui, elles évoluent dans un cadre oligopolistique, où une poignée d’acteurs se partagent la majorité du marché. Cette configuration limite l’émergence de nouveaux concurrents, y compris familiaux.
Le mythe du fondateur
Par ailleurs, si la globalisation pourrait ouvrir les portes de l’international aux entreprises familiales, dans les faits, seule une minorité ose franchir ce pas. En 2018, à peine 10 % des entreprises familiales espagnoles étaient présentes à l’étranger. Par ailleurs, l’arrivée massive de fonds d’investissement prêts à racheter des sociétés florissantes incite certains fondateurs à vendre rapidement, sans transmettre leur activité à la génération suivante.
Autre tendance préoccupante : l’évolution des motivations des entrepreneurs. De plus en plus nombreux sont ceux qui créent une entreprise dans l’objectif de la revendre avec profit, et non de la transmettre. Selon les données disponibles entre 2010 et 2021, les cessations d’activité pour cause de vente ou de départ à la retraite ont fortement augmenté, sans passage de témoin à la génération suivante.
Il faut noter l’importance de l’entreprise familiale en Espagne qui agit comme un moteur de base de l’économie du pays. Elles représentent 57 % du PIB national et génèrent 6,5 millions de postes de travail. Cependant, le constat est clair : entre transformation des structures familiales, concentration des marchés, pression des investisseurs et changement des mentalités, le contexte actuel joue en défaveur du modèle d’entreprise familiale.
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