Depuis quelques années, l’Espagne connait une « fuite des cerveaux ». Un nom mystérieux pour raconter comment médecins, ingénieurs et infirmiers quittent le pays à la recherche de meilleures conditions de travail.
Photos : Clémentine Laurent
« On a une demande en hausse depuis 3 ou 4 ans je dirais. Maintenant, on donne des cours à une trentaine de personnes par mois », raconte André Garcia, fondateur de Sup’Garcia, une association d’apprentissage du français à destination des professionnels espagnols souhaitant exercer en France.
Parmi ses élèves en ligne, André (basé à Pau) n’a que des très diplômés : médecins, infirmières, architectes et ingénieurs. Tous ont un objectif : apprendre le français pour pouvoir y travailler, que ce soit une semaine par mois ou toute la vie. « Les conditions françaises sont meilleures qu’en Espagne. S’ils partent c’est que même avec des bons diplômes ils n’ont pas de bonnes situations. »
Et en effet, les chiffres appuient les dires d’André. Par rapport à d’autres pays de l’UE, les conditions de travail en Espagne sont pires : en 2023, le taux d’emploi des diplômés était de 83,7% contre 87,6% dans l’UE et le taux de chômage était de 6,8% contre 3,5% en Europe.
Une fuite massive
La « fuite » est particulièrement éloquente dans le domaine médical. Pourtant, l’Espagne se défend : c ‘est le deuxième pays au monde, derrière la Corée du Sud, en nombre de facultés de médecines par densité de population. Mais cela ne suffit pas à enrayer la progression des déserts médicaux et à éteindre la colère de la profession qui, rien que ce 5 avril dernier, manifestait avec force à Madrid pour de meilleures conditions de travail.
Et à travers la mauvaise santé professionnelle des médecins, les patients souffrent aussi. Dans certaines provinces espagnoles comme la Castille-et-León, le manque de médecins a des conséquences dramatiques : fermetures de centres de santé, allongement des délais de rendez-vous, hausse de la charge mentale pour les soignants restants.
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On le constate aussi chez les infirmières. Selon les données de l’OCDE, les fuites dans cette branche ont augmenté de 170 % en une décennie.
Un des problèmes réside dans la précarité des contrats : en 2023, plus de 87 000 contrats infirmiers ont été signés, dont à peine 18 % à durée indéterminée. Les autres, temporaires, obligent les soignants à une mobilité constante.
Face à cela, compliqué de retenir les talents qui vont chercher des emplois plus stables de l’autre côté des Pyrénées. Surtout qu’en France aussi, on est en désert médical et donc très friand de ces diplômés pressés de fuir leur pays.
En sachant qu’avec une bonne maitrise de la langue française, la reconnaissance des diplômes est quasi-automatique, nous raconte André, qui accompagne parfois certains élèves dans les démarches administratives : « Pour les médecins européens, c’est assez long mais facile. Il faut juste pouvoir présenter un niveau B1 en français. C’est pour ceux qui ne sont pas dans l’Union européenne que ça se corse. »