Il y a 20 ans, l’Espagne légalisait le mariage pour tous. Barcelone, alors pionnière des droits LGBTQIA+, reste-t-elle un havre de liberté en 2025 ? Des Français queer installés dans la capitale catalane racontent comment ils y vivent.
Photos : mairie de Barcelone
Le 30 juin 2005, l’Espagne devenait le troisième pays du monde à autoriser le mariage entre personnes du même sexe. Depuis, plus de 75 000 unions ont été célébrées dans le pays – une étape majeure dans la reconnaissance des droits LGBTQIA+ en Espagne. Barcelone, de son côté, a toujours été une ville de tolérance et est la troisième ville de la nation à avoir vu s’unir le plus de couples homosexuels.
En 2006, Philippe Saman, ex-président de la CCI Française de Barcelone, devenait une des premières personnes à se marier dans la cité comtale. Celui qui fêtera l’année prochaine ses noces de porcelaine raconte : « Barcelone a toujours été une ville de liberté, très en avance, une ville populaire. »
Et les témoignages recueillis vont dans le même sens : en tant que personne queer, on vit mieux à Barcelone qu’ailleurs. C’est notamment ce que remarque Moncef, informaticien et drag queen qui vit dans la capitale catalane depuis 11 ans. « Etant queer et arabe, Barcelone est une libération pour moi. Je peux exister sans avoir peur dans la rue. On me tabassait à Marseille, et à Paris, je ne me sentais pas safe du tout. Ici, je me balade librement avec qui je veux et je m’habille comme je veux. D’ailleurs, quand je vais faire des shows drags, j’y vais tout habillé en drag en bicing ou même en bus ou en métro. Quand je reviens en France, il faut que je mette des vêtements plus conventionnels. Si je performe à Paris, je dois me préparer dans le lieu, ou alors prendre un taxi et espérer qu’on ne me refuse pas. »
Une différence flagrante, dont témoigne aussi Alfonso. Ce père de famille originaire de Valenciennes a fait son coming out à 33 ans. A l’époque marié avec une femme, il a dû subir le mépris de sa propre famille, le laissant dans un état de mal-être constant.
La solution, c’est Barcelone qui lui a apporté, quand il y a déménagé il y a 6 ans : « Une amie qui vivait à Barcelone m’a proposé de venir passer des vacances ici, car elle savait que je m’y sentirais mieux et plus épanoui. Et elle avait raison. À Barcelone, j’ai trouvé une communauté, que je considère même comme une vraie famille. J’ai rencontré des personnes avec différentes orientations, qui sont très importantes pour moi. Ici, je ne me suis jamais senti jugé ou mal regardé. J’y ai aussi rencontré l’homme de ma vie, et nous allons nous marier. Mes enfants me voient aujourd’hui épanoui et heureux, ce qui est le plus important pour moi. »
Un refuge, mais pas sans failles
Pour tous les interrogés, l’origine de ce bien-vivre tient dans la représentation manifeste des personnes queer. Yann, 30 ans, le dit tout net, il y a ici « un sentiment d’indifférence quant à [sa] sexualité ». Et pour lui, cela tient au fait que « la communauté LGBTQIA+ à Barcelone est assez présente et visible, avec notamment le quartier « Gayxample » ou divers événements assez réguliers comme Pride Barcelona, le Circuit Festival, ce qui participe au sentiment de tranquillité en général ».
Moncef se range à son avis, expliquant que « les gens s’en foutent. Ou alors te font des compliments. Le fait d’avoir de plus en plus de représentations non clichées dans les médias aide beaucoup, on voit par exemple des présentateurs télé qui portent toute l’année un bracelet arc-en-ciel ».
Un paradis apparent qui comporte quand même ses problèmes. En Catalogne en 2024, le triste record du nombre d’agressions sur la communauté LGBTQIA+ a été battu avec 318 incidents. Ce sont surtout les personnes trans qui en sont victimes, rapporte l’Observatoire contre la LGBTIphobie.
Philippe Saman, pour qui il ne fait pas de doute que la Catalogne est un havre de paix dans un monde où l’extrême-droite et son intolérance gagne du terrain, « le match n’est pas gagné, et il faut faire attention ».