Plainte historique contre Facebook à Barcelone : des modérateurs brisés réclament justice

22@ bureaux

Trois mois après la fermeture soudaine du centre de modération Meta à Barcelone, les plaintes pour dommages psychologiques contre le géant de la tech s’accumulent. Plus de 350 ex-modérateurs réclament justice, dont une vingtaine de Français. 

Installé depuis 2018 dans l’emblématique Tour Glòries, le siège barcelonais de la maison-mère de Facebook et Instagram a brutalement fermé ses portes en avril dernier. Le sous-traitant Telus a perdu le contrat avec Meta, qui délocalise ses services de modération dans d’autres pays. Un arrêt soudain et inattendu, qui a flanqué 2059 employés à la porte, dont environ 200 francophones. « Et avec les indemnités minimum », ajoute Tristan*, qui travaillait dans le service français.

Le trentenaire fait partie de 350 employés licenciés qui ont déposé plainte contre Telus, contre la filiale de Meta en Europe et contre Facebook Spain S.L., la filiale espagnole. Tous réclament 100.000 euros d’indemnisation pour les « préjudices causés à leur intégrité morale ainsi qu’à leur santé, tant psychique qu’émotionnelle ». Ils estiment que leurs patrons n’ont pas pris soin de leur santé mentale alors qu’ils étaient exposés « aux pires dégueulasseries du monde », selon Tristan.

Lire aussi : Meta ferme son centre de modération à Barcelone, 2000 employés dans l’incertitude

Et le mot est faible. Huit heures par jour, les modérateurs devaient visionner les contenus signalés par les utilisateurs, c’est-à-dire les plus choquants, voire insoutenables. Pornographie infantile, maltraitance conjugale, tortures d’animaux, Tristan vérifiait jusqu’à 500 contenus par jour. « Il faut être costaud psychologiquement pour faire ça, mais à long terme, ça t’impacte forcément et ça influence aussi ton sens moral et émotionnel ».

« Comme des soldats qui reviennent de la guerre »

Surtout quand on n’a eu ni la formation ni l’accompagnement pour y faire face. « Les employeurs ont tout fait de travers, un vrai désastre, raconte leur avocat Robert Castro, du cabinet Bastet, tous les modérateurs souffrent d’un stress post-traumatique, comme les soldats qui reviennent de la guerre, ça se traduit pour certains par de l’irritabilité, de l’anxiété ou des cauchemars, pour d’autres par l’abus d’alcool, de médicaments ou de drogues, et plus grave encore ».

Car depuis l’ouverture du centre à Barcelone, trois modérateurs se sont suicidés, sans que l’entreprise ne prenne davantage de mesures pour la santé de ses employés. « Les psychologues sur place étaient trop peu nombreux et trop inexpérimentés, et puis dès le processus de recrutement, ça n’allait pas du tout : des personnes avec des troubles bipolaires ont été embauchées ! »

Malgré les conséquences mentales et émotionnelles, les plus de 2000 modérateurs barcelonais ne se plaignaient pas. Ils tenaient à leur travail. « L’ambiance avec les collègues était sympa et c’était plutôt bien payé pour Barcelone », nous dit un autre ex-employé français. Mais après le licenciement collectif, le temps de la reconnaissance des préjudices et de la réparation est arrivé. Depuis plusieurs semaines, les plaintes affluent donc chez Bastet Advocats, qui a déjà défendu des modérateurs à titre individuel au cours des dernières années.

« On reçoit encore des plaintes tous les jours, c’est la plus grande action judiciaire de modérateurs jamais vue dans le monde », assure Robert Costa. Les premières convocations judiciaires sont fixées au mois de septembre, mais pourraient être reportées si l’affaire est traitée comme une plainte collective. « Cela arrangerait Meta, ils essaient de gagner du temps ». Mais les modérateurs ne lâcheront pas, selon l’avocat. Tous espèrent déjà une sentence historique, aux répercussions mondiales.

 

*prénom d’emprunt

 

Recommandé pour vous