Ancien bastion industriel et ouvrier, le quartier de Sant Andreu attire aujourd’hui une nouvelle génération d’habitants en quête d’authenticité. Entre cafés cosy, centres culturels et loyers qui grimpent, le quartier vit une mutation profonde. Reportage dans un Barcelone qui change, sans renier tout à fait son âme de village.
À quelques stations du centre de Barcelone, Sant Andreu conserve encore l’allure d’un village. En sortant du métro, le regard se pose sur la tranquille place d’Orfila, dominée par la mairie et l’église, bordée de façades blanches et animée par un café de quartier. À première vue, rien n’a bougé depuis des décennies. Mais derrière cette apparente quiétude, le quartier change. Autrefois isolé au nord de la ville, Sant Andreu attire désormais familles, artistes et jeunes actifs repoussés par les prix de Gràcia ou de Poblenou. Mécaniquement toutefois, les loyers grimpent aussi ici : + 86% en 10 ans. Une inflation qui change le visage du quartier.
Les rues piétonnes de la Gran de Sant Andreu bruissent de conversations entre anciens et nouveaux venus. Les anciennes boutiques côtoient désormais des cafés aux néons discrets, des galeries ou des studios de Pilates. Les habitants oscillent entre fierté et inquiétude. À la sortie d’un salon de coiffure, Amelia, 88 ans, observe les passants d’un regard bienveillant : « Avant, c’était un quartier très familial. Maintenant, il est devenu si grand qu’on croise des gens qu’on ne connaît plus. »
Née ici, elle a vu défiler toutes les époques du district. Pourtant, elle garde un regard nuancé : « La jeunesse donne plus de vie au quartier. Il se passe beaucoup de choses qui n’existaient pas avant. » Ce qu’elle regrette, en revanche, c’est l’esprit du marché de quartier : « Ce qui me manque ici, c’est le marché traditionnel, qui a tant perdue de son charme d’antan. »
Les commerces changent, pas toujours les visages
Sur la rue Gran de Sant Andreu, Ylenia Farrula, coiffeuse depuis vingt-cinq ans, s’active dans son salon. Elle aussi a vu le quartier se métamorphoser : « Quand je suis arrivée, Sant Andreu, c’était comme un village où tout le monde se connaissait. » Aujourd’hui, elle note l’apparition d’un autre accent dans sa clientèle : « Quand tu commences à entendre parler anglais dans ton quartier, c’est que les choses changent. Les gens de Gràcia viennent s’installer ici. Ils cherchent l’authenticité qu’ils ont perdu là-bas. »
Mais ce mouvement a un prix : les loyers montent, les commerces traditionnels ferment. « On est en train d’uniformiser tous les quartiers, c’est la globalisation », lâche-t-elle avec une pointe de résignation.
Carla Bejarano Urquieta, jeune propriétaire du Garden Coffee Bar depuis 2022, incarne cette nouvelle génération d’entrepreneurs : « Sant Andreu est un quartier magique, un vrai village où on peut tout faire à pied. Depuis que la rue est devenue piétonne, elle a pris des airs de grande ville. » Pour elle, la modernisation n’efface pas la convivialité : « Si Sant Andreu devient comme Gràcia, ce sera bien pour les commerces… il faudra juste que les habitants s’adaptent. »
Une renaissance culturelle
Quelques rues plus loin, la silhouette monumentale de la Fabra i Coats domine le paysage. Ancienne usine textile du XIXᵉ siècle, elle a été transformée en centre d’art contemporain et espace culturel. Entre les briques rouges et les verrières industrielles, des enfants jouent, des artistes répètent, des familles se promènent.
David Madrazo, coordinateur du centre, connaît par cœur son histoire : « C’est un recyclage total : une ancienne usine textile devenue lieu de création, d’éducation et de culture. Les petits-enfants de ceux qui travaillaient ici viennent maintenant créer dans les mêmes murs. » Pourtant, il ne cache pas ses inquiétudes face à la gentrification : « j’espère que Sant Andreu ne deviendra pas comme Gràcia. Gràcia a perdu son âme. »
Entre mémoire ouvrière et renaissance culturelle, Sant Andreu se réinvente sans rompre totalement avec son passé. Le contraste entre anciennes usines et cafés cosy illustre les paradoxes d’un Barcelone qui s’embourgeoise, tout en cherchant à préserver sa chaleur populaire.
« Sant Andreu s’est agrandi, oui, mais pour le mieux. Ici, on vit dans la tranquillité. Il y a beaucoup de places et de rues calmes. Non, jamais Sant Andreu ne sera comme Gràcia. Ce quartier garde son esprit de pueblo », nous dit Lluis, retraité croisé sur la place d’Orfila. Pour l’instant du moins, le quartier marche encore sur ce fil fragile entre authenticité et modernité, et derrière chaque façade rénovée, on entend encore le murmure des ruelles, les rires dans les places, les éclats d’une vie de quartier qui ne s’éteint jamais.

