Crise Covid19 – Ch. Junod: « il est humain d’avoir peur pour l’argent »

medecin français à Barcelone

Si les problèmes sanitaires font la une depuis le début du confinement, une autre crise couve, plus durable: celle de la peur de manquer d’argent due à l’incertitude économique. Christian Junod, ancien conseillé en placements financiers pendant 23 ans chez UBS en Suisse, est spécialiste francophone de la relation à l’argent. Lui qui a coaché des milliers de personnes sur le sujet depuis 10 ans nous donne des clés pour mieux vivre cette période où tout est remis en cause.

En quoi notre relation à l’argent influence-t-elle notre quotidien?

L’argent un sujet très tabou dans notre société. Pourtant un billet n’est qu’un bout de papier et l’argent un intermédiaire pratique entre un acheteur et un vendeur. Qu’il soit virtuel ou papier, c’est un étalon commun qui permet de donner de la valeur à un certain nombre de choses afin de se positionner pour acheter ou vendre. Cependant l’argent n’est plus considéré pour ce qu’il est. Nous les humains lui avons donné un pouvoir. Celui de nous sécuriser, de nous rendre libre, de créer des conflits dans des familles… En fonction de notre relation à l’argent nous perdons ainsi une partie de notre pouvoir intérieur. J’en prends pour exemple le nombre de personnes que je côtoie qui ne sont pas satisfaites de leur travail, qui aspirent à autre chose, mais qui restent dans leur boulot de peur des conséquences financières d’un changement.

Est-il normal d’avoir plus peur de manquer d’argent aujourd’hui qu’avant le confinement?

Plus que normal, c’est humain car nous sommes devant une situation nouvelle pour la plupart d’entre nous. Personne ne sait comment sera l’économie dans 6 mois ou 1 an. C’est cette incertitude qui génère des peurs.

Constatez-vous de nouveaux comportements par rapport à l’argent depuis que nous sommes en quarantaine?

Les comportements habituels sont exacerbés. Les personnes frileuses auront tendance à être encore plus prudentes et s’accrocher à leur épargne. D’autres sous le coup de la peur vont au contraire se lâcher pour chasser leurs frustrations.

L’argent cristallise-t-il les tensions dans les couples en cette incertitude de l’avenir?

L’argent est l’un des deux plus gros sujets de divorce, car dans les couples il y a généralement deux comportements différents avec l’argent. En généralisant, il y en a un qui veut épargner à tout prix pour anticiper éventuellement ce qui pourrait se passer dans le futur, alors que l’autre pense qu’il n’a qu’une vie et veut dépenser tout de suite. Ce sont deux représentations de la vie qui sont à la source de conflits forts. Chacun des deux pense que l’autre a tort et personne ne fait un pas vers l’autre pour mieux communiquer. Dans le cas du confinement, les peurs sont exacerbées, ce qui génèrent plus facilement des tensions, notamment autour de l’argent, et pourrait entraîner à la fin de cette période de nombreux divorces.

Les expatriés à Barcelone peuvent-ils être soumis à plus de stress en cette période loin de leur pays?

Cela peut amener une couche de peur supplémentaire pour ceux qui se sentent de passage, loin de leur contexte rassurant qu’est leur pays d’origine, leur cocon. Pour ceux qui se sentent chez eux à Barcelone, en revanche, cela ne devrait pas en rajouter.

Est-ce que les Français ont une relation spécifique à l’argent?

Même en France, au sein des régions, il y a des différences culturelles. A Lyon, par exemple, je constate que c’est un sujet très tendu, on cache beaucoup de choses. Plus généralement en France l’argent est tabou de chez tabou, encore plus qu’en Suisse d’où je suis originaire, qu’en Belgique ou qu’au Québec. Coluche l’avait magnifiquement résumé en disant que « En France, c’est bien connu, les pauvres sont les gentils, les riches sont les méchants, et bien sûr tout le monde veut devenir méchant ». C’est le seul endroit où j’entends « vivons heureux, vivons cachés ». A la Révolution Française, on a coupé des têtes, et cela compte aussi dans l’inconscient collectif. Et dans la religion catholique, Pascal Bruckner notait qu’être pauvre était honorable.

Quels sont vos conseils pour vivre mieux sa relation à l’argent en cette période incertaine?

D’abord d’être au clair sur sa situation financière. Je suis toujours frappé de constater comment nombre de personnes ne savent pas combien elles dépensent ni combien elles gagnent, ce qui leur génère de l’incertitude et donc du stress. C’est important d’avoir une vision claire pour prendre les bonnes décisions. Ensuite réfléchir à des plans B et C dans le cas où l’on ressent des risques de faillite d’un commerce ou d’un licenciement d’une entreprise, afin d’éviter de céder à la panique si cela devait arriver. Enfin d’aller parler aux personnes à qui l’on doit de l’argent si l’on est en difficulté pour tenir ses engagements. Jouer aux abonnés absents est la pire des solutions dans un cas comme celui-là car on se sent mal de faire l’autruche.

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