L’espadrille, une histoire catalane

medecin français à Barcelone

Véritable symbole de la Catalogne pour certains, l’origine de l’espadrille est presque un mystère pour les historiens. Mais cela n’empêche qu’elle chausse les Catalans depuis des centaines d’années, avec à chaque village sa particularité.

Photos : Clémentine Laurent

On se dispute presque partout en Espagne (et même en-dehors) l’origine de l’espadrille. À Barcelone, on est convaincu que l’espardenya est catalane. Mais, même s’il est vrai qu’elle varie en fonction des régions, l’espadrille est vieille comme le monde et attribuable presque à tous les peuples.

Pour Joan Carles Tasies Martínez, propriétaire de l’atelier historique La Manual Alpargatera à Barcelone, l’espadrille n’a pas d’origine fixe. Elle est, pour ainsi dire, universelle. « On a retrouvé des espadrilles à Grenade qui dateraient de plus de 7000 ans, mais il y a aussi des chaussures qui ressemblent à des espadrilles en Égypte, en Amérique, et même en Corée. Au final, une espadrille, c’est juste une chaussure faite de fibre végétale », résume-t-il. « Tout le monde pouvait s’en faire à l’époque ; en fait, c’est la première chaussure qui a existé. »

La boutique La Manual Alpargatera, à Barcelone.

Pour Sílvia Ventosa Muñoz, les espadrilles catalanes dériveraient des sandales des Romains. Responsable du département de textile et de mode du Museu del Disseny de Barcelone, elle connaît bien l’histoire des tenues traditionnelles populaires de Catalogne. « Les espadrilles comme on l’entend aujourd’hui sont décrites pour la première fois dans des documents du XIIIème siècle », précise-t-elle.

À chaque ville catalane son espadrille

Si les espadrilles font presque partie du patrimoine historique mondial, cela ne veut pas dire qu’elles sont toutes semblables. La quantité de modèles différents, qui s’étalent sur les étagères de bois de la boutique La Manual Alpargatera, en est la preuve.

La vitrine des modèles traditionnels, à La Manual Alpargatera.

« Il y a des espadrilles typiques de Vic, de Tarragone, de Barcelone… », énumère Joan Carles Tasies Martínez en désignant des espadrilles exposées derrière une vitrine. « La forme varie parfois même entre deux communes voisines ! La caractéristique du Levant [côte allant de la Catalogne à Murcia], ce sont les rubans ; mais la façon de les nouer est différente partout. » Sílvia Ventosa Muñoz précise que l’espadrille peut même varier en fonction des genres ou de l’état civil d’une personne au sein d’une même ville, comme pour distinguer les femmes mariées par exemple.

Les espadrilles en chanvre, l’originalité catalane

Autre caractéristique de l’espadrille catalane : la matière première. Car si elle peut être tressée avec différentes plantes, comme le spart (d’où son nom catalan, ‘espardenya’), il était aussi coutume d’utiliser en Catalogne et dans le Levant… du chanvre.

« On en cultivait beaucoup ici avant pour faire de la corde. Mais vous vous imaginez bien qu’aujourd’hui, on n’a plus le droit d’en utiliser ! », rit le propriétaire de l’atelier. « Dans les années 1950, on a dû commencer à utiliser du jute à la place, et c’est principalement avec ce textile que nos espadrilles sont tressées aujourd’hui. »

Les mossos d’esquadra aussi

Si elles sont à l’origine portées par les paysans, les espadrilles s’adaptent, au fur et à mesure, au pied de tous : militaires, ouvriers, bourgeois barcelonais du début du XXème siècle et même républicains durant la guerre civile, comme symbole d’opposition au fascisme, observe Sílvia Ventosa Muñoz.

Mais avec l’arrivée de l’industrie et la fabrication rapide et bon marché de chaussures, l’espadrille aurait bien pu disparaître des pieds des Catalans. Si elle a survécu aujourd’hui, c’est grâce à deux choses : la tradition et la mode. « À l’origine, les mossos d’esquadra portaient des espadrilles typiques de Valls, car c’est là qu’elles ont été créées au XVIIIème siècle. Et encore aujourd’hui, la tenue de gala des mossos conserve ce type d’espadrilles », raconte avec fierté Joan Carles Tasies Martínez en exhibant une photographie des policiers, qu’il a lui-même chaussés.

La Manual Alpargatera chausse les mossos d’esquadra, pour leur tenue d’apparat.

La particularité de l’atelier La Manual, et le propriétaire ne s’en cache pas, c’est aussi qu’il a fait de la chaussure un objet de mode. « C’est l’amie et l’associée de ma mère, Emilia Martínez, qui a eu l’idée de l’adapter aux tendances, en 1940. On peut dire que c’est ça qui a sauvé l’espadrille ! »

Et on peut le constater aujourd’hui, dans les rues : malgré son grand âge, l’espadrille accompagne toujours les pas des Barcelonais.

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