En Espagne, Podemos se prépare à l’après-Pablo Iglesias

Pablo Iglesias

Alors que Pablo Iglesias a fait sa rentrée en tant que chroniqueur sur plusieurs radios espagnoles, son groupe historique Podemos se réorganise sans son leader emblématique. Décryptage de ce qui attend le parti.

Le 4 mai 2021, Pablo Iglesias, secrétaire général de Podemos depuis sept ans et ancien vice-président du gouvernement espagnol (janvier 2020-mars 2021), a mis un terme à sa carrière politique à l’issue de la défaite cinglante subie par son parti aux élections régionales dans la Communauté de Madrid.

Quelques jours avant le dixième anniversaire du mouvement des Indignés, le départ de l’emblématique dirigeant de gauche radicale prenait des airs de fin de cycle, tant sa figure est associée à l’ascension fulgurante du parti anti-austérité, depuis la percée aux élections européennes de 2014 jusqu’à l’entrée au gouvernement début 2020.

Iglesias laisse derrière lui un parti positionné dans presque toutes les arènes institutionnelles du pays mais électoralement affaibli. Aux élections générales de novembre 2019, Unidas Podemos (UP), la coalition regroupant Podemos et les communistes d’Izquierda Unida, a rassemblé 12,8 % des suffrages, bien loin des 21,1 % recueillis en 2016.

Une succession sans embûches

La démission de Pablo Iglesias avait de quoi semer le doute quant à l’avenir d’un parti jusqu’alors dépendant de son leader charismatique. Pour balayer les points d’interrogation, la transition à la tête de Podemos s’est opérée sans attendre : le 13 juin, au terme d’un congrès mené tambour battant et sans véritable concurrence, Ione Belarra, 33 ans, originaire de Navarre et actuelle ministre des Droits sociaux, est élue secrétaire générale avec 88,69 % des 53 443 voix exprimées sur la plate-forme numérique de Podemos.

Ione Belarra a constitué dans la foulée son conseil de coordination, le principal organe exécutif de Podemos. La nouvelle secrétaire générale l’a martelé : la prochaine direction devra être plus collégiale et, surtout, plus féminine. Le nouvel organigramme du parti confirme cette inflexion : les trois principales fonctions à la tête de Podemos sont désormais occupées par des femmes. La féminisation des instances dirigeantes est une manière d’inscrire le parti dans le sillage de la vague féministe qui traverse l’Espagne depuis plusieurs années.

Malgré ces évolutions au sommet, la nouvelle direction est avant tout marquée du sceau de la continuité. On retrouve au sein de l’exécutif formé par Belarra des figures bien connues – membres du gouvernement et des cabinets ministériels, députés – qui ont été les chevilles ouvrières de Podemos ces dernières années. Les profils très institutionnels et expérimentés qui composent cette direction témoignent par ailleurs de la professionnalisation grandissante de l’élite partisane. Celle-ci peut désormais difficilement se prévaloir de la fraîcheur et du renouvellement qui ont imprégné les débuts de Podemos, du temps où le parti pouvait se présenter comme un parti de « non professionnels ».

De l’entreprise personnalisée au parti enraciné dans les territoires ?

Bien que l’héritage de Pablo Iglesias pèse encore sur l’appareil, Podemos dispose d’une armature suffisamment solide pour survivre à son départ. La pérennisation de l’organisation par-delà les aléas politiques de son dirigeant charismatique constitue un marqueur indéniable d’institutionnalisation. Néanmoins, tourner la page du leadership de Pablo Iglesias nécessitera bien plus qu’une succession sereine.

Dès l’origine, Podemos est apparu comme une entreprise politique hautement personnalisée. Les premiers succès du parti sont indissociables de l’aura médiatique et des aptitudes de tribun de Pablo Iglesias. Sans son leader autrefois omniprésent, Podemos entame donc une nouvelle phase, que résume le mot d’ordre de Ione Belarra : crecer (grandir, croître).

À la « machine de guerre électorale » mise en place par Pablo Iglesias, la nouvelle direction se propose de substituer une organisation ajustée aux séquences politiques plus « froides ». Entre 2015 et 2019, Podemos a participé à pas moins de quatre élections générales ainsi qu’à de multiples scrutins territoriaux. Le rythme effréné imposé par la succession des échéances électorales a aspiré les énergies et retardé le patient travail d’affermissement organisationnel que les dirigeants appellent aujourd’hui de leurs vœux.

Pour débuter ce nouveau cycle, Ione Belarra s’est fixée pour objectif de renforcer l’assise territoriale du parti. La tâche est d’autant plus impérieuse qu’UP a connu une véritable débâcle lors des dernières élections municipales et régionales en 2019.

Parmi les mairies conquises en 2015 par les candidatures du « changement » – Madrid, Barcelone, Saragosse, La Corogne, Saint-Jacques de Compostelle, Cadix –, seule Barcelone demeure aujourd’hui dans l’orbite de Podemos, Cadix étant dirigée par un maire anticapitaliste désormais dissident.

Tout aussi préoccupant : après avoir obtenu des résultats prometteurs aux élections régionales de 2015, le parti accuse des pertes significatives en 2019 et voit son nombre d’élus divisé par deux, voire par trois, dans la plupart des communautés autonomes. En Galice, en Cantabrie et en Castille-La Manche, Podemos est même rayé de la carte parlementaire régionale. La candidature de Pablo Iglesias aux élections régionales à Madrid, présentée comme une nécessité pour fortifier le bloc des gauches devant l’essor de la droite ultraconservatrice, visait aussi à assurer à UP un score supérieur à 5 %, seuil fatidique en dessous duquel le parti aurait été privé de représentation.

L’enjeu consiste donc bien à bâtir une organisation moins centrée sur le leader et capable de s’ancrer durablement dans les territoires. Contrairement à la France insoumise, son allié de l’autre côté des Pyrénées, Podemos a adopté très tôt une organisation stratifiée, avec des structures partisanes territorialisées ainsi que des représentants élus par les membres du parti. Jusqu’ici, l’implantation territoriale de Podemos a toutefois été chaotique, ponctuée d’innombrables tensions au sein des instances locales et d’interminables conflits entre la direction nationale et plusieurs branches régionales, désireuses de s’autonomiser des directives madrilènes, comme en Catalogne ou en Andalousie.

Mais cette période de turbulences est pour le moment révolue : en 2020, les candidats parrainés par Pablo Iglesias ont pris les rênes du parti dans les onze communautés autonomes où Podemos renouvelait ses directions. Ione Belarra peut donc dorénavant s’appuyer sur un réseau de coordinateurs régionaux loyaux et intégrés à son exécutif. Jamais dans sa courte histoire Podemos n’aura présenté un visage aussi homogène.

Des recompositions à venir à la gauche du Parti socialiste

Le déroulement de la succession de Pablo Iglesias atteste de la fluidité des rouages partisans mais reflète aussi l’absence de compétition intra-partisane pour le leadership. Et pour cause : ceux qui furent un temps les rivaux de Pablo Iglesias à l’intérieur du parti font désormais chemin à part. Des trois sensibilités qui se sont affrontées lors du deuxième congrès du parti en 2017 – les « pablistes », les « errejonistes », du nom de l’ancien n°2 de Podemos Íñigo Errejón, et les « anticapitalistes » – seul subsiste le courant représenté par les héritiers d’Iglesias.

Les partisans d’Íñigo Errejón, hostiles à l’alliance avec les communistes et chantres d’un populisme transversal, œuvrent désormais au déploiement de Más País. Cette nouvelle force politique, solidement implantée à Madrid mais peu structurée dans le reste du pays, souhaite incarner une alternative écologiste à l’échelle de l’Espagne.

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Le roi d’Espagne Felipe VI (à droite) accueille le député du parti Mas Pais, Inigo Errejon (L), au palais de la Zarzuela à Madrid, le 10 décembre 2019, lors d’une série de consultations avant la constitution du nouveau gouvernement. Kiko Huesca/AFP

Quant aux anticapitalistes, qui ont claqué la porte de Podemos en réaction à l’alliance avec les socialistes, ils s’attellent depuis l’Andalousie à la construction d’une organisation d’envergure régionale, Adelante Andalucía.

Podemos devra s’adapter à ces recompositions encore incertaines à la gauche du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE). UP compte d’ailleurs depuis quelques jours une nouvelle composante, Alianza Verde (Alliance verte), lancée par des cadres écologistes de la coalition. Une manière d’incarner davantage les aspirations écologiques et de couper l’herbe sous le pied à Más País.

Les recompositions les plus significatives devraient toutefois s’opérer au sein même de la coalition. Le départ de Pablo Iglesias laisse présager un positionnement moins hégémonique de Podemos et des relations probablement plus équilibrées avec son principal partenaire, Izquierda Unida.

Fait marquant, pour la première fois le candidat aux élections générales en 2023 ne devrait pas être issu des rangs de Podemos. Il s’agit de l’actuelle ministre du Travail, Yolanda Díaz, figure de la gauche communiste en Galice, à qui Pablo Iglesias a transmis le flambeau dès sa démission du gouvernement. Comme le souligne le politiste Óscar García Agustín, Ione Belarra et Yolanda Díaz devraient ainsi former un tandem avec des rôles bien définis : à Ione Belarra le travail de consolidation territoriale de Podemos ; à Yolanda Díaz, ministre populaire aux facultés de négociation unanimement saluées, le défi de donner un second souffle électoral à UP, après des échecs à répétition depuis 2019.

 

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Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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