La (vraie) histoire du gazpacho

Photo : Getty Images

medecin français à Barcelone

Tous les samedis, Equinox et les grands chefs barcelonais du restaurant Disfrutar, Sergi de Meià du restaurant éponyme ainsi que le critique gastronomique Jaume Fàbrega, éclairent sur la véritable origine des plats phares de la gastronomie espagnole. Ce week-end, embarquez en direction de l’Andalousie pour remonter jusqu’aux origines du gazpacho.

Prendre une soupe froide et se régaler, cela peut sembler inimaginable quand on n’a pas gouté au gazpacho. Et pourtant, ce mets simple à base de tomate sait convaincre tout le monde. Qui aurait alors pu croire que le gazpacho original… ne contient pas de tomate ?

Sans surprise, le gazpacho andalous viendrait… d’Andalousie. Ou en tout cas, c’est ainsi qu’on le connaît. Mais « l’origine de l’actuel gazpacho est incertaine », souligne Oriol Castro. Chef des restaurants Disfrutar à Barcelone (deux étoiles au guide Michelin 2022) et Compartir à Cadaqués, il connaît bien ce plat typiquement espagnol. « Traditionnellement, on considère le gazpacho comme un plat de l’intérieur de l’Andalousie, où l’huile d’olive et les produits issus de potagers sont abondants, et où les étés sont très secs et chauds. »

Le gazpacho original était… sans tomate

Oui, c’est difficile à accepter, mais dans le gazpacho d’origine, il n’y avait pas de tomate. Tout comme la tortilla de pommes de terre, l’ingrédient principal du gazpacho n’est pas du tout espagnol, mais américain. Et pourtant, les premières traces de gazpacho dans la Péninsule ibérique remontent à avant les premiers voyages entre Espagne et Amérique.

Photo : AL PHT Air Picture TAVISA/Ajuntament

« L’origine du gazpacho est datée de l’époque d’al-Andalus », précise le chef Oriol Castro, c’est-à-dire de l’époque où la quasi-totalité de la péninsule était occupée par les Maures, entre la moitié du VIIIème siècle et la fin du XVème siècle. Il ne pouvait donc pas contenir de tomate, puisque cette plante est importée par les colons espagnols durant le XVIème siècle.

Mais à quoi ressemblaient alors les tout premiers gazpachos ? « C’était un mélange de pain émietté, d’huile d’olive et de vinaigre que l’on servait pour alimenter les travailleurs des champs », raconte le chef du Disfrutar.

Repas des paysans andalous

« C’était un plat de pauvres, un plat de subsistance », explique Sergi de Meià, chef du restaurant éponyme à Barcelone. Le gazpacho est donc, comme beaucoup de plats célèbres de la gastronomie espagnole, d’origine paysanne.

Jaume Fàbrega, historien, écrivain et critique gastronomique, identifie même les moissonneurs andalous comme les premiers consommateurs du gazpacho. Selon lui, c’est à cause de cette origine modeste que l’on ne trouve pas cette soupe dans les livres classiques de recettes espagnoles.

Étant donné ses origines, ses ingrédients sont donc des aliments et produits que les paysans pouvaient facilement se procurer : du pain sec, de l’huile, du vinaigre… le tout écrasé dans un mortier en céramique, précise l’historien.

Il n’y avait pas de jour pour faire du gazpacho : c’était un plat quotidien, pour les paysans de l’époque. « Durant l’été andalous, le gazpacho était presque obligatoire », précise Sergi de Meià. « C’était pour les paysans une soupe nutritive, fraîche et très bonne. »

Une recette très variable

Il est difficile d’établir une recette originale précise : le gazpacho connaît bon nombre de variations, dans toute l’Espagne du sud et même au Portugal. « Il y a différentes versions de gazpachos froids, parmi lesquels l’‘ajoblanco’ [de Málaga] ou le ‘salmorejo’ [de Cordoue], et chauds, plus typiques de la région de La Mancha, où ce sont des gazpachos ‘manchegos’ ou ‘galianos’ », précise Oriol Castro.

Photo : salmorejo de Cordoue, Recetas y más

Il existe même une version dans laquelle les ingrédients ne sont pas écrasés et la soupe est servie en morceaux, la « porra », explique Jaume Fàbrega.

Avec le temps, les recettes de gazpachos ont beaucoup évolué. Mais le plus grand changement se produit avec l’arrivée de la tomate et du poivron dans la recette ; ils font leur apparition à partir du XIXème siècle.

Aujourd’hui, on peut trouver des gazpachos très originaux et inventifs : »à la pastèque, à la cerise, en boule de glace comme accompagnement d’un plat, ou même texturisé« , selon Sergi de Meià.

Des origines arabes

Les tout premiers gazpachos étant nés dans la Péninsule ibérique mais sous domination maure, il semble logique que l’origine du mot vienne de l’arabe. Selon Jaume Fàbrega, le mot original vient de la langue arabe ibérique ; il évoquerait un « morceau de pain ». Et cette théorie prend sens lorsque l’on découvre que d’autres plats espagnols, qui ne sont pas des soupes mais contiennent du pain, s’appellent aussi « gazpacho ».

Photo : gazpacho de la Mancha (« manchego »), Bon Viveur

Jaume Fàbrega raconte qu’à Elche, près d’Alicante, il a découvert un plat en sauce à base de gibier que les habitants appelaient « gazpacho ». « Devant ma surprise, une amie m’a dit avec dédain que le ‘gazpacho andalous’ dont je parlais n’était qu’une ‘salade dans un verre’. »

Le gazpacho manchego n’a pas grand-chose à voir non plus avec le gazpacho andalous. « Ce sont des sortes de pâtes de farine de blé mélangées avec de la perdrix, du lièvre, des escargots et des légumes cuits », explique Sergi de Meià.

De son côté, l’Académie espagnole identifie le mot comme venant indirectement du grec, et faisant allusion à une corbeille d’église dans laquelle on dépose toute sorte de dons ou même des morceaux de pain, un peu à l’image des ingrédients qui composent la soupe.

Emblème espagnol à l’international

Tout en étant un plat basique et simple faisant partie du quotidien des paysans espagnols, le gazpacho a été propulsé dans les années 1970 sur la scène internationale comme un authentique emblème de la gastronomie du pays.

Il s’est adapté à toutes les classes sociales, et a même ses entrées dans la haute gastronomie. « C’est devenu un plat commun dans toute l’Espagne, et même l’industrie alimentaire se l’est approprié pour en vendre toute l’année« , précise Sergi de Meià. Par ailleurs, le fait qu’il s’agisse d’un plat populaire, bon, sain et facile à faire a beaucoup participé à sa diffusion.

« C’est l’une des soupes froides les plus connues, non seulement au niveau espagnol mais aussi mondial », reconnait Oriol Castro. « Mais c’est aussi un plat que l’on pourrait définir comme en accord avec le développement durable, aujourd’hui, puisqu’il ne nécessite que des végétaux, des produits de notre terre. »

Comment reconnaître un vrai gazpacho ?

Pour le chef du Disfrutar, ce sont clairement les ingrédients qui définissent le plat : tomate, poivron, concombre, ail, vinaigre, huile d’olive… même si aujourd’hui, d’autres recettes plus originales ou osées font leur apparition, comme l’étonnant gazpacho solide du Disfrutar. « C’est un sorbet de gazpacho que l’on dispose entre deux tranches de meringue de tomate, en faisant une sorte de sandwich. Nous le servons avec une coupe de vinaigre de Xérès en spray, à sentir en même temps, pour que le parfum et la dégustation transmettent la même sensation. »

Photo : « sandwich » de gazpacho, Disfrutar

La fraîcheur des ingrédients de base est aussi indispensable pour un gazpacho de qualité, selon Jaume Fàbrega. « Dans un restaurant en France, on m’a déjà servi un horrible gazpacho fait à base de tomate en boîte ! Le gazpacho doit toujours être fait à base de légumes frais, naturellement. »

Pour Sergi de Meià, le gazpacho doit être servi bien frais, et avec une petite salade de légumes contenus dans la soupe en accompagnement, du pain grillé et un œuf dur coupé en morceaux.

Où manger un bon gazpacho ?

Même si on peut trouver aujourd’hui un bon gazpacho dans beaucoup d’établissements du monde entier, pour Oriol Castro, c’est clairement en Andalousie que l’on trouve les meilleurs gazpachos andalous traditionnels : « c’est sa ‘terre mère’ ». Pour réussir son gazpacho, il n’y a pas d’autre vraie règle à part utiliser les bons ingrédients : les grands restaurants gastronomiques autant que les bars peuvent servir un gazpacho réussi.

Le chef Sergi de Meià conseille d’ailleurs de déguster le gazpacho à la fin du printemps, en été et jusqu’en septembre, « lorsque les légumes qui composent le gazpacho sont de saison« , précise-t-il. « Et bien sûr, demander conseil aux locaux. »

Et pour les cuisiniers en herbe, vous trouverez ici la recette du typique gazpacho, en français, approuvée par le ministère du Tourisme espagnol.

À lire aussi : La (vraie) histoire de la tortilla

Merci au chef Oriol Castro des restaurants Disfrutar (carrer Villarroel 163 à Barcelone) et Compartir (Riera Sant Vicenç 17488 à Cadaqués),
au chef Sergi de Meià, du restaurant Sergi de Meià (carrer Laforja 83 à Barcelone, +34 930 01 79 66),
et à Jaume Fàbrega, historien, écrivain et critique gastronomique.

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