Antoine Careil : « En arrivant à Barcelone, je me suis pris une claque avec la scène graffiti »

medecin français à Barcelone

Antoine Careil, originaire de l’Ouest de la France, a posé ses valises à Barcelone en 2010 après un long voyage sur la route de la Soie. Depuis, il partage sa passion pour l’art de rue grâce à son projet Street Art Barcelone qui attire aussi bien les amoureux des fresques et graffitis que les curieux du monde entier. Très actif, il est à l’origine du projet Arnau Gallery situé sur l’avenue Parallel à deux pas de l’Apollo. Rencontre. 

Pouvez-vous nous raconter vos premiers pas dans la scène Street Art ?

À la base, en France je n’étais pas actif dans le milieu associatif ni dans l’organisation d’évènements, j’étais un spectateur assidu de festival, de concerts, un consommateur de culture hip-hop. C’est la culture dont je fais partie et qui m’a vraiment beaucoup apporté. En rentrant notamment dans le rap, j’ai découvert le break dance et le graffiti. Ça c’était surtout en France avant de partir en voyage lorsque je vivais à Nantes ou j’ai découvert le festival Hip-Hop Session qui m’a vraiment éduqué sur la culture et en particulier sur le graffiti, j’ai vraiment découvert ce milieu et j’ai adoré .

Comment avez-vous créé “Street Art Barcelona”?

En arrivant à Barcelone en 2010, je me suis pris une claque par la scène graffiti de Barcelone et j’ai pris plein de photos partout. J’ai rencontré un collègue de travail à l’époque, qui faisait la même chose. C’était l’époque de l’explosion des pages Facebook , du type “Street Art” et le nom d’une ville, ou le nom d’un pays comme “Street Art Allemagne”, “Street Art Paris”, “Street Art London”, mais en gros “Street Art Barcelona” n’existait pas, on l’a créé et on a commencé à publier nos photos et ça a très vite explosé, c’est devenu assez viral, on a eu 50K de followers en trois ans. Donc, l’idée c’était de documenter la scène de Barcelone et ses artistes locaux mais aussi ceux de l’étranger mais il y a toujours un lien avec la ville.

Comment a évolué votre projet?

Le projet “Street Art Barcelona” a été crée en 2011 et donc là à partir du moment où on a commencé à documenter la scène avec toutes les photos on s’est mis en contact avec des artistes, on a vraiment découvert comment la scène fonctionnait et à partir de là on s’est mis à organiser des choses.

Au lieu de juste documenter, on a décidé de devenir actifs. On a commencé à organiser des expositions, des soirées aussi autour du Hip-Hop mais vraiment dans le graffiti. Le premier gros projet que j’ai réalisé c’était une exposition à la galerie Montana où j’ai invité Peeta, un graffeur 3D italien qui est un des trois meilleurs mondiaux dans sa catégorie. C’était sa première exposition en Espagne, donc quelque chose d’assez important dans une galerie comme celle de Montana et tout de suite on s’est fait remarquer sur la scène Barcelonaise.

Ensuiste on a commencé à travailler avec le Guzzo qui à l’époque était un club qui venait d’ouvrir et pour qui je gère la direction artistique en organisant des murs permanents et des murs rotatifs. Ça c’était les premières actions qu’on a faites.

Comment en êtes-vous arrivé à organiser des tours Street Art?

Après on a travaillé avec des entreprises qui demandaient des artistes pour peindre lors d’évènements. En gros ça devenait un boulot plus d’agence reliée à l’art urbain à Barcelone et en 2016 on a commencé à monter des tours de découverte du graffiti. Donc on travaille maintenant avec beaucoup d’agences, des entreprises mais aussi avec des écoles locales surtout depuis le Covid. Parfois on a entre 75 et 100 élèves, on travaille également avec la Escuela Oficial de Idiomas.

On organise les tours principalement dans le Raval, car il y a des activités que l’on aime bien présenter mais aussi dans le Born, Gotico et Poblenou. Nos tours se font à pied mais aussi à vélo.

Vous allez inaugurer de nouvelles fresques à l’Arnau Galerie, pouvez-vous nous expliquer quel est cet endroit?

La galerie Arnau est un projet né en 2016 après plus d’un an de travail. Moi je vis dans le Raval depuis neuf ans et j’avais une idée de projet de mur rotatif inspiré du Mur Oberkampf à Paris et ce type d’actions dans la rue qui n’existait pas à Barcelone. Il y a des murs légaux où tout le monde peut aller peindre sans permis, il y a des murs permanents mais il y avait pas de murs rotatifs qui sont gérés par une entité. En étant voisin, j’ai découvert le mur du théâtre de l’Arnau, qui avait été peint par l’artiste Catalan Roc Black Bloc et qui attirait l’attention sur un projet de rénovation de ce théâtre qui date du 19e siècle via la plateforme qui s’appelle “Recuperem el Teatre Arnau”.

Je me suis mis en contact avec cette plateforme et on a décidé d’avoir un échange de bons procédés: ils me laissent monter un projet d’art urbain avec le mur rotatif et en échange ce projet permet d’apporter plus de visibilité au théâtre qui doit être rénové. C’est donc un mélange entre de l’art urbain et un projet de récupération du patrimoine historique de Barcelone.

En quoi votre projet est différent des autres murs rotatifs?

Il y a plus d’une soixantaine d’artistes qui sont intervenus mais ce qu’il faut retenir c’est qu’il s’agit d’un mur de collaborations et c’est un concept que j’ai voulu apporter dès le début pour me différencier des autres projets car pour moi l’art c’est aussi quelque chose qui doit être en mouvement, qui doit prendre des risques. Donc j’aime bien que le mur offre cette rencontre entre deux artistes qui n’ont jamais peint ensemble et que de là naisse quelque chose d’unique. Mais que ce soit aussi un défi pour les artistes et c’est cela aussi qui fait la spécificité du projet .

Est-ce que cela vous a ouvert d’autres portes? 

L’année dernière le MACBA m’a contacté pour une collaboration. Ils organisaient une exposition avec des artistes de la scène locale parmi lesquels figurait Antonio Hervàs. Il est aussi intervenu sur le mur et il y avait donc un écho entre sa pièce du musée qui faisait référence à l’ancien théâtre Arnau. Son mural était une référence à la scène du cabaret et du barrio chino, un concept très puissant et très élaboré. On a donc organisé des tours qui incluaient le mur et le MACBA avec l’artiste qui expliquait ses oeuvres et l’histoire du cabaret.

Slomo Mural

Collaboration sur le mur principal des artistes Slomo et Twi Muizen

Qui sont les participants des murs actuels ? 

En plus du mur principal ou on fait des collaborations, il y a deux murs latéraux où on fait des interventions aussi régulièrement et ici l’idée c’est de collaborer avec beaucoup d’entités locales en apportant du contenu social tout en faisant passer des messages. Donc pour ce dernier projet j’ai été contacté par l’association “Creacio Positiva” qui lutte pour les droits de la communauté LGBT, notamment des lesbiennes. Les membres m’ont proposé de réaliser un mural pour le Dia Mondial de la Salud Sexual, sur lequel l’idée est de représenter la lutte contre la lesbophobie. Ces femmes m’ont proposé l’artiste Alex Martinez, moi je leur ai suggéré l’artiste Rice et donc l’idée était d’avoir deux artistes avec deux esthétiques différentes qui montrent leur interprétation du sujet.

Pouvez-vous nous décrire l’un des murs latéraux?

Sur le côté droit, c’est le mural de Rice, il représente l’image de Ken Pollet qui fait partie de la scène émergente des drags king de Barcelone. Cette scène est très active et Ken Pollet est le drag king le plus connu de la ville. Il est à la fois performer et activiste. La technique utilisée ici est le pochoir pour représenter trois portraits de Ken Pollet, qui montre ses trois facettes: féminine, masculine et androgyne afin de démontrer qu’il y a autant de types de sexualité que de personnes sur terre et qu’il faut arrêter avec nos préjugés et nos idées préconçues. Rice a ajouté des insultes qui existent contre par exemple des femmes qui ont des attitudes un peu plus masculines ou des hommes qui ont des attitudes féminines et cela s’appelle la “plumofobia”, c’est la discrimination contre les attitudes qui ne sont pas celles que l’on attend. Et donc la devise du mur est: “Saca tu pluma” (sors ta plume) qui signifie “vis ta sexualité comme tu l’es, acceptes-toi comme tu es”.

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Rice et ses pochoirs de Ken Pollet sur le mur latéral droit

Et le mur principal?

C’est une collaboration entre un couple d’artistes galiciens qui vivent à Barcelone : Twi Muizen, lui est muraliste et elle crée des masques. Ils collaborent tous les deux sur ce mur avec l’artiste vénézuélien Slomo dont la technique est plus abstraite. C’est donc une rencontre entre plusieurs styles très différents et qui reste dans la philosophie de l’Arnau Galerie. Donc ce sont des belles pièces qui en ressortent au final.

Comment ça se passe avec les voisins?

Ça se passe super bien! Je m’en rends compte lorsque je repeins le mur en blanc pour préparer les nouvelles sessions, à ce moment beaucoup de gens viennent me parler, me commenter ce qu’ils ont perçu, souvent c’est positif, souvent ils sont énervés car ils pensent que je recouvre le mur en blanc pour qu’il reste en blanc. Mais je leur dis de ne pas s’inquiéter que si je le recouvre c’est parce qu’il y a une autre oeuvre qui va arriver et les gens comprennent le concept du projet et le supportent à fond car cela fait partie intégrante du quartier. C’est aussi laisser l’art accessible à tous surtout dans ce quartier en proie à des difficultés sociales. Cela donne accès à l’art à des gens qui ne vont pas au musée et une fois de plus cela permet de rendre visible le théâtre à des gens qui l’ont connu et qui se demandent ce qu’il est devenu. De plus le mur est très respecté, il n’est jamais taggué ce qui signifie qu’il est bien accepté par les gens du quartier.

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